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bruno tertrais

  • Guerre Russie Ukraine, les charlatans de l’information...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'Observatoire du journalisme consacré aux experts charlatans qui peuplent les plateaux de télévision depuis le début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie.

     

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    Guerre Russie Ukraine, les charlatans de l’information

    Le titre de cet article pourrait être : Bas les masques ! Depuis le début de la guerre en Ukraine (février 2022), un carnaval de nouveaux « experts » en géopolitique anime les plateaux de télévision et de radio avec à la clef un festival de prédictions et d’analyses que Nostradamus n’aurait même pas osé. Si les avis et prévisions proférés peuvent être drolatiques avec le recul du temps, nos « experts » qui les professent ont parfois l’oreille des politiques au plus haut niveau.

    Mondanités, cirage de pompes, arrivisme, diront les mauvaises langues. Mais ce n’est pas notre genre. L’OJIM se contente de saluer les divinations dont ces experts nous ont bénis depuis deux ans. Petit florilège des prophéties les plus abouties et de leurs auteurs.

    Jean-François Colosimo et le cerveau reptilien

    Edmond Rostand aurait fait parler Jean-François Colosimo, éditeur et écrivain, à la manière du sieur de Bergerac. Nous pourrions citer bien des choses. Par exemple, tenez.

    Historien : « Dès le départ, la Russie a perdu la guerre, qui est une faute de Poutine, qui massacre les Ukrainiens et sacrifie les Russes [1] ».

    Visionnaire : « La Russie a déjà perdu la guerre [2] ».

    Croupier : « Le système Poutine, c’est remettre le jeton d’une guerre chaque fois que son régime pourrait s’écrouler [3] ».

    Psychologue : « Nous surestimons la puissance de Poutine. Si nous intervenons un peu plus, est-ce qu’il va nous attaquer nucléairement ? Jamais de la vie. Et ça je peux vous le certifier parce qu’il a un cerveau reptilien de la guerre froide [4] ».

    Moulangeur : « La Russie a un temps d’avance mais ça montre la nature criminelle du régime. La guerre que la Russie mène à la France est réelle : nous sommes dans la première guerre mondialisée ». Chirurgien : « Poutine a lobotomisé la société russe [5] ».

    Beaucoup de lettres et de concepts qui ne reposent sur rien mais qui, dans une ambiance d’hystérie collective, vous rendent miraculeusement intelligent, ou presque.

     

    Xavier Tytelman, Nostradamus prend l’avion

    Xavier Tytelman, fondateur du Centre de Traitement de la Peur de l’avion, marche sur deux pieds qui ne vont pas dans le même sens. D’un côté ses émissions techniques sur l’armement utilisé en Ukraine sont assez remarquables, de l’autre ses prévisions géopolitiques sont tout à fait hasardeuses.

    Premier soutien de l’Ukraine, Xavier Tytelman ne s’en cache pas. Mais de là à raconter n’importe quoi… Ici, le militant l’emporte sur l’expert. La défaite russe était donc certaine pour Xavier Tytelman. « La défaite russe est quasi sûre à moins d’arriver sur des systèmes non conventionnels mais à terme, ils vont perdre [6] ».

    Se tromper peut arriver, mais il faut le reconnaître. C’est sans doute trop pour notre pilote de ligne nouvel expert du terrain militaire. Un journaliste lui demande s’il ne s’est pas (rien qu’un peu) trompé sur l’armée russe : « Je me rappelle quand même certaines de vos interventions extrêmement optimistes sur l’Ukraine [7] ». Il répond : « On a sous-estimé notre capacité à aider les Ukrainiens ». Il fallait préciser.

    Et quand le barrage de Kakhova s’est effondré, il n’y avait qu’un coupable possible : « C’est à 100% les Russes qui peuvent être à l’origine de cette attaque [8] ». Avec des experts comme ça, même plus besoin d’enquête !

     

    Bruno Tertrais, la recherche stratégique pour les nuls

    Même son de cloche du côté de Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.

    Voici un florilège qu’on serait très déçu de manquer : « Le scénario le plus probable est celui de l’effondrement progressif de l’armée russe [9] » (2022), « À moyen terme, la Russie ne peut être que perdante. Cette guerre est extraordinairement coûteuse pour elle sur le plan financier, humain [10] » (2024), « Poutine a déjà perdu la guerre. Je ne vois pas comment la Russie peut renverser la machine à vapeur [11]».

    On doit bien se marrer au Kremlin.

    Bruno Tertrais est aussi politologue « La Russie pourrait se muer en une gigantesque Corée du Nord [12]», « Poutine veut un pays en guerre, il ne peut rester au pouvoir qu’à la tête d’un pays en guerre, on l’imagine très bien dans une future grande Corée du Nord qui serait la Russie dans quelques années [13]», « La Russie est en train de dépasser le stade de l’autoritarisme pour devenir un pays : quasi-fasciste. Je dis bien “quasi” pour garder le sens de la mesure [14] ».

    Fondation stratégique avez-vous dit…

     

    Pierre Servent, les russes ont saboté Nord Stream qu’ils ont bâti

    Analyses acérées de Pierre Servent, journaliste et consultant défense chez TF1-LCI : « Il y a une certitude, c’est que cette offensive sera très meurtrière pour les Ukrainiens parce qu’ils vont se retrouver en position offensive et les Russes en position défensive [15] ». Il faut donc être un expert pour le savoir. Lui aussi avait prédit un effondrement de l’armée russe [16] mais parce que la Russie « n’a qu’une force militaire de corps expéditionnaire et pas une armée de haute intensité [17] » (2023). Il en parlera aux soldats ukrainiens.

    Comme les autres, il nous a fait part de son avis affûté pour connaître le coupable du sabotage de Nord Stream II dans un entretien pour RTBF « L’histoire de la Baltique, je l’interprète comme étant le prélude à d’autres opérations de cette nature venant de Moscou [18] » et Le Point [19]. Parole d’expert ! Mais aujourd’hui on soupçonne précisément l’ex-chef d’état-major ukrainien, Valeri Zaloujny, actuellement ambassadeur d’Ukraine à Londres, d’être impliqué dans l’affaire [20].

     

    Nicolas Tenzer, la voix de l’OTAN

    Il y a ceux qui enchaînent les prédictions douteuses, et puis d’autres qui sont d’abord des militants. C’est le cas de Xavier Tytelman, mais surtout de Nicolas Tenzer, ancien haut fonctionnaire et enseignant à Sciences Po, membre du très otanien CEPA (Center for european policy analysis) vraiment pas craintif à l’idée de déclencher une guerre ouverte avec Moscou. Pour commencer, si la contre-offensive a échoué, c’est la faute de l’OTAN : « c’est véritablement notre faute, notre culpabilité même, si nous n’avons pas aidé les Ukrainiens », « certes, l’Ukraine ne peut plus être défaite, ça il faut être très clair là-dessus, en revanche, pour reconquérir l’ensemble des territoires perdus, il faudrait un effort massif, nécessaire, obligatoire de la part des alliés [21]».

    Face à la Russie, « on ne peut pas laisser uniquement les Ukrainiens se battre à notre place » et Emmanuel Macron a « totalement raison » d’envisager l’envoi de troupes [22]. « Nous serions nous aussi capables physiquement de détruire la Russie [23] », a‑t-il également avancé sur France Info. Déclencher une guerre nucléaire ouverte avec Moscou, c’est donc le plan de N. Tenzer. Quelques années avant, ses analyses sur la complexité du conflit syrien étaient loin d’être glorieuses : Poutine et Bachar al Assad avaient selon lui « une volonté de tuer tout le monde. De tuer tout ce qui peut être tué [24] ». Puissant. Professeur à Sciences Po avez-vous dit ? Il est vrai que Sciences Po de nos jours…

    Observatoire du journalisme (OJIM, 9 mai 2024)

     

    Notes et références

    [1] La Crucifixion de l’Ukraine, Albin Michel, octobre 2022.
    [2] Public Sénat, 25 nov. 2022
    [3] C ce soir, 15 févr. 2024
    [4] C dans l’air, 26 févr. 2024
    [5] LCP, 3 nov. 2022
    [6] twitter.com/SudRadio/
    [7] twitter.com/EuropaMagnifica/
    [8] [UKRAINE] Qui a pu détruire le barrage de Nova Kakhovka ? Conséquences militaires, YouTube
    [9] Bruno Tertrais : « Le scénario le plus probable est celui de l’effondrement progressif de l’armée russe », Le Soir, 23 août 2023
    [10] Bruno Tertrais : « La Chine est peut-être un colosse aux pieds d’argiles », La Nouvelle République, 12 janvier 2024
    [11] twitter.com/search?q=Bruno%20tertrais%20ukraine
    [12] Bruno Tertrais : «La Russie pourrait se muer en une gigantesque Corée du Nord », Le Figaro, 27/07/2023
    [13] Ukraine : une contre-offensive imminente ?- Bruno Tertrais, C à vous, 06/06/2023
    [14] x.com/LCI/
    [15] Contre-offensive de l’Ukraine en préparation : “Les pertes seront très lourdes pour les Ukrainiens”, selon l’expert militaire Pierre Servent, FranceInfo, 4 mai 2023
    [16] Pierre Servent prédit “un effondrement du corps expéditionnaire russe”, FranceInfo, 24 février 2023
    [17] Pierre Servent prédit “un effondrement du corps expéditionnaire russe”, FranceInfo, 24 février 2023
    [18] RTBF, rtbf.be, 29 sept. 2022
    [19] Le Point, lepoint.fr, 29 sept. 2022.
    [20] France Info, francetvinfo.fr, 21 mars 2024.
    [21] France 24, x.com/France24_fr
    [22] Face à la Russie, « on ne peut pas laisser uniquement les Ukrainiens se battre à notre place », selon Nicolas Tenzer
    [23] France Info, x.com/franceinfo
    [24] France Info, Syrie : la Russie et le régime de Bachar Al-Assad mènent « une guerre d’extermination »

     

     

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  • Plus d'immigration contre la baisse de la population : le fatalisme aveugle de l'Institut Montaigne...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de l'Observatoire de l'immigration et de la démographie consacrée aux positions favorables à l'immigration prises par l'Institut Montaigne au prétexte de la baisse de la natalité en France...

     

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    Plus d'immigration contre la baisse de la population : le fatalisme aveugle de l'Institut Montaigne

    Le lundi 28 août, l’Institut Montaigne publiait une note intitulée « Démographie en France : conséquences pour l'action publique de demain », signée par le politologue Bruno Tertrais.

    Partant du constat selon lequel notre pays s’installe dans une phase durable de vieillissement en ce début de XXIe siècle, le think tank y défend un postulat destiné à trouver des oreilles attentives (car déjà convaincues) dans certains médias comme dans la sphère politique : « La France s'apprête à connaître un déclin de sa population que seule l'immigration pourrait combler à court et moyen termes », en particulier pour le renouvellement de la force de travail dans de nombreux secteurs.

    Ce diagnostic fataliste semble n’admettre aucune alternative. Pourtant, nombreux sont les faits objectifs à notre disposition pour venir contredire la pertinence d’un recours soutenu à l’immigration comme palliatif à la réduction projetée de la population active. La reconstruction de politiques familiales ambitieuses, notamment, donnerait à notre pays les moyens d’une relance efficace de sa natalité, tout en préservant sa cohésion sociale et culturelle.

    État des lieux : des constats connus mais euphémisés

    Les observations démographiques sur lesquelles l’Institut Montaigne fonde sa réflexion sont certes admises de longue date : « La France est entrée dans une phase de ralentissement démographique », avec une « situation devenue préoccupante depuis le début des années 2000 » par le ralentissement de notre natalité. En effet, le solde naturel (constitué de la différence entre les naissances vivantes et les décès survenus sur le sol national) s’est établi difficilement à + 56 000 personnes pour l’année 2022, soit un résultat quasiment nul. Le nombre de naissances enregistrées l’année dernière est au plus bas depuis 1946. Cet affaissement de la fécondité se poursuit en 2023, avec un nombre de naissances inférieur de 7 % au premier semestre par rapport à la même période en 2022. Notre pays semble être entré dans « l’hiver démographique européen », concept forgé par le professeur Gérard-François Dumont (démographe et membre du conseil d’orientation de notre Observatoire de l'immigration et de la démographie). Comme d’autres nations du Vieux Continent, il est probable que la France aura bientôt besoin de « plus de cercueils que de berceaux », avec un solde naturel prêt à basculer en négatif.

    Dans l’analyse de ce phénomène, l’Institut Montaigne insiste cependant trop peu sur l’une de ses dimensions essentielles : les dynamiques contraires de natalité entre Français et étrangers sur notre territoire. En vingt ans, entre 2001 et 2021, le nombre de naissances issues de deux parents étrangers a augmenté de 45,3% ; dans le même temps, le nombre de naissances issues de deux parents français diminuait de 17,5%. En 2021, près d’un tiers des enfants nés en France (31,4%) avaient un, au moins, de leur parent né à l’étranger. Parmi ceux-ci, 9 naissances sur 10 d’enfants dont les deux parents étaient nés à l’étranger concernaient des parents nés hors de l’Union européenne. De telles données illustrent toute la part que les phénomènes migratoires prennent déjà dans la croissance naturelle de la population de la France.

    Bruno Tertrais ne nie cependant pas le basculement quantitatif généré par l’accélération de l’immigration au cours des dernières décennies : « Il n’y a jamais eu autant d’étrangers en France depuis le Second Empire. La France comptait environ 1 % d’étrangers sur son sol en 1851. Cette proportion dépasse aujourd’hui le maximum enregistré en 1931 (7 %) pour atteindre 7,7 % en 2021, soit 5,3 millions de personnes ». Il convient toutefois de souligner que 4 millions de personnes ont acquis la nationalité française depuis 1982, dont 2 millions depuis 2005 – ce qui fait « fondre » mécaniquement le nombre et la part des étrangers recensés dans les statistiques.

    L’Institut Montaigne reconnaît que l’octroi de premiers titres de séjour est déjà « en augmentation constante depuis trente ans ». Néanmoins, il doit être relevé que la présidence d’Emmanuel Macron marque une accélération notable dans cette direction. En 2022, 316 175 primo-titres de séjour ont été accordés à des immigrés extra-européens (hors UE / Suisse / Royaume-Uni) en métropole. Il s’agit là d’un record absolu, ce volume n’inclut d'ailleurs pas les déplacés d’Ukraine – lesquels disposent d’un statut européen de « protégés temporaires ».

    Le nombre de premiers titres délivrés durant l’année 2022 a été supérieur de 153% à celui accordé durant l’an 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin. 1,6 million de premiers titres de séjour ont été accordés au total depuis 2017 à des immigrés extra-européens, soit en moyenne 267 000 par an sous la présidence d’Emmanuel Macron, contre 189 000 durant le mandat de Nicolas Sarkozy (+ 41%) et 217 000 pendant celui de François Hollande (+ 23%).

    Certains de ces titres peuvent certes concerner des séjours temporaires – en particulier pour les étudiants. Au-delà de la question de l’effectivité des études poursuivies et des abus associés, l’Insee nous apprend toutefois que pour 1 immigré quittant le territoire national, ce sont plus de 4 immigrés qui s’y installent en moyenne sur la période 2006-2021 (1 pour 5 en 2021).

    Sur le plan qualitatif, Bruno Tertrais relève à juste titre « une évolution significative de la composition de l’immigration : entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui, les proportions d’immigrés venant d’Europe et du reste du monde se sont inversées ». Près de la moitié des immigrés résidant en France sont aujourd’hui d’origine africaine (environ 30 % du Maghreb).

    Bilan économique de l'immigration : l'Institut Montaigne bat en retraite

    Ayant admis que l’immigration en France a d’ores et déjà atteint une ampleur inédite, l’Institut Montaigne s’intéresse ensuite à l’impact des flux migratoires sur la richesse nationale, les comptes publics, l’emploi et les salaires. Une remarque saute alors aux yeux du lecteur : même un laboratoire d’idées tel que celui-ci, historiquement favorable à l’ouverture migratoire et culturelle, initiateur de la Charte de la Diversité à destination des entreprises et importateur majeur du concept de discrimination positive dans notre pays, n’est plus en mesure de soutenir l’idée selon laquelle l’immigration bénéficie à l’économie française.

    Pour ce qui est de la richesse nationale, tout en mentionnant un « impact économique relativement marginal de l’immigration sur l’économie », Bruno Tertrais avance le constat d’un « effet positif moins sensible que dans certains autres pays développés du fait de la structure de notre immigration – souvent peu qualifiée et avec un taux de chômage important ». Il est vrai que 37,2% des immigrés vivant en France en 2021 et ayant terminé leurs études initiales n’avaient aucun diplôme ou seulement un équivalent brevet / CEP selon l’INSEE. Ce taux de non-diplômés était 2,5 fois supérieur à celui des personnes sans ascendance migratoire. Il était de 42,2% parmi les immigrés originaires du Maghreb, 51,4% parmi ceux d’Afrique sahélienne et 61,7% chez les immigrés originaires de Turquie.

    Les constats dressés apparaissent donc justes, mais devraient conduire à une lecture hélas plus sévère que celle d’un « effet positif moins sensible ». Prenons l’exemple des immigrés algériens, les plus nombreux parmi l’ensemble des origines migratoires recensées en France :

    - 41,6% des Algériens de plus de 15 ans vivant en France étaient chômeurs ou inactifs (ni en emploi, ni en études, ni en retraite) en 2017 selon les données INSEE analysées par le ministère de l’Intérieur, soit un taux trois fois plus élevé que celui des Français (14,1%) ;

    - Seuls 30,6% de ces mêmes Algériens étaient en emploi, contre 49,7% des ressortissants français – soit un taux d’emploi inférieur de près de 20 points.

    - La moitié (49%) des ménages d’origine algérienne vivait en HLM en 2018, soit presque quatre fois plus que les ménages non-immigrés (13%).

    Ce faisant les Algériens sont structurellement sous-contributeurs à la richesse nationale en moyenne, et surconsommateurs de différents dispositifs de solidarité collective en vigueur dans notre société.

    Cela se retrouve nécessairement dans l’impact de l’immigration sur les finances publiques, dont l’Institut Montaigne avance désormais qu’il est « légèrement négatif », s’appuyant sur des travaux publiés par le CEPII (service rattaché au Premier Ministre) en 2018 et par l’OCDE en 2021. Il importe toutefois de remarquer que les résultats repris dans la note de Bruno Tertrais (un coût net de -0,2 à -0,5% du PIB pour le CEPII), ne correspondent pas aux scénarios les plus complets présentés dans cette étude. En effet, lorsque la « deuxième génération » – celles des descendants directs de parents immigrés – est prise en compte dans les estimations réalisées par ces mêmes institutions, il est évalué que l’immigration représente un coût net situé entre 1,41% (OCDE) et 1,64% de PIB (CEPII sur la dernière année évaluée), soit entre 35 et 40 milliards d’euros par an.

    Malgré le fardeau financier conséquent que représentent de telles sommes (trois fois supérieures par exemple aux gains attendus de la dernière réforme des retraites), soulignons que les approches méthodologiques de ces études conduisent souvent à le sous-estimer encore, par exemple dans la façon dont l’OCDE ventile le coût de certains bien publics (comme la police ou la justice) entre natifs et immigrés – qui tend à majorer artificiellement la contribution de ces derniers.

    Pour ce qui est de l’emploi et des salaires, l’Institut Montaigne affirme que « les synthèses internationales montrent un très faible impact de l’immigration sur le marché du travail ». Or l’étude académique la plus récente sur le cas français, publiée en 2021 par l’OFCE-Sciences Po, bat clairement en brèche ce constat en établissant qu’une augmentation de 1% du nombre de travailleurs liée à l’immigration fait baisser de presque 1% en moyenne le salaire des ouvriers « natifs » non-qualifiés. Elle pèse aussi à la baisse dans une moindre mesure sur le salaire des techniciens et employés, ainsi que celui des ouvriers qualifiés, et ne bénéficie qu’aux seuls managers – aux emplois peu concurrencés.

    Face au fatalisme migratoire, l'alternative des politiques familiales

    Devant des faits aussi clairement établis et malgré les euphémisations relevées, il aurait pu apparaître cohérent que l’Institut Montaigne se prononce en faveur d’une approche plus prudente des flux migratoires que celle pratiquée aujourd’hui. Or il n’en est rien, puisque Bruno Tertrais affirme dans sa note : « comme pour la plupart des autres États européens, la croissance de la population française se poursuivra désormais essentiellement via l’immigration ». Le message sous-tendu est que cette accélération de l’immigration comme palliatif au vieillissement démographique constitue une voie sans alternative pour renouveler la force de travail dans notre pays, quels que puissent être ses effets induits – en particulier ses bénéfices économiques incertains. L’hypothèse d’une relance de la natalité est écartée comme peu réaliste : « La chute de l’excédent naturel est inévitable. »

    À rebours d’un tel fatalisme, une autre option existe pourtant, que notre pays a déjà expérimentée favorablement par le passé : la mise en œuvre de politiques familiales ambitieuses visant à faire remonter le taux de fécondité en France au-delà du seuil de renouvellement des générations (2,05 enfants par femme). Notre pays a été à l’avant-garde en Europe sur ce sujet : prenant la suite des caisses de compensation mises en œuvre par des entreprises, l’État a posé les bases des politiques familiales dès les années 1930, avec un premier Code de la famille adopté par la Chambre issue du Front populaire, puis en 1945 avec l’instauration du quotient familial.

    Cette avance française en la matière a suscité l’intérêt de nombreuses nations européennes pendant des décennies, dont les gouvernements envoyaient des délégations d’étude pour comprendre comment la natalité française se maintenait globalement au-dessus de la moyenne européenne après les Trente Glorieuses. Le consensus transpartisan autour de ces questions a été mis en cause pour la première fois dans les années 1990, lorsque le gouvernement de la gauche plurielle envisagea de renoncer à l’universalité des allocations familiales. Ce fut alors le Parti communiste qui obtint la suppression de cette mesure, au nom de ce qui était perçu comme un élément essentiel du contrat social entre les Français.

    Les années 2010 ont hélas marqué une remise en cause effective et durable. En 2014, le gouvernement de François Hollande fit adopter pour de bon Parlement la suppression de cette universalité des allocations familiales, réduisant la politique familiale à une simple logique de politique sociale – alors que leurs objectifs ont toujours différé sensiblement. Outre cette décision à fortes conséquences, les « coups de rabot » se sont multipliés simultanément : diminution du complément du mode de garde (CMG) destiné aux parents employant une nourrice ou une assistante maternelle, report de deux ans de la majoration des allocations familiales, multiples abaissements du plafond du quotient familial générant une hausse notable de la fiscalité pour les familles… Les résultats de cette approche sont aujourd’hui frappants: le solde naturel de notre pays (différence entre les naissances vivantes et les décès sur le territoire) a été divisé par cinq entre 2006 et 2022.

    Pourtant, à rebours de l’attention démesurée accordée au phénomène des no kids, le désir d’enfants des Français se situe bien au-delà du taux de fécondité constaté de 1,8 enfant par femme. Selon les différentes enquêtes menées à ce sujet (par LES Eurobaromètres et le Réseau national des Observatoires des familles), le nombre idéal d’enfants souhaités par nos compatriotes se situe entre 2,3 et 2,7.

    Il importe donc de concevoir la politique familiale pour ce qu’elle est vraiment : non pas un dirigisme rétrograde qui prétendrait imposer aux femmes de procréer à tout prix, mais une politique de liberté dont l’objectif est d’établir les conditions permettant aux Français des deux sexes d’avoir les enfants qu’ils souhaitent avoir. Le devoir des décideurs politiques consiste à poser les bases de ce printemps démographique français. Face au déclin redouté de notre population, le recours toujours accru à une immigration dont l’impact négatif sur les performances économiques et la cohésion sociale est désormais solidement établi n’a donc rien d’inéluctable – au contraire des conclusions apparentes de l’Institut Montaigne.

    Observatoire de l'immigration et de la démographie (Observatoire de l'immigration et de la démographie, 22 novembre 2023)

     

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