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michel maffesoli - Page 3

  • Le progressisme et l'ère des lendemains qui chantent sont révolus !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Michel Maffesoli au Figaro Vox dans lequel il évoque la fin du progressisme.

    Penseur de la post-modernité, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019), La faillite des élites (Lexio, 2019),  L'ère des soulèvements (Cerf, 2021) ou encore, ces derniers jours, aux éditions du Cerf, Le Temps des peurs et Logique de l'assentiment.

     

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    Michel Maffesoli: «Le progressisme et l'ère des lendemains qui chantent sont révolus»

    LE FIGARO. - La modernité, du XVIIIe au XXe siècle, a été l'âge de l'individualisme et de la critique systématique. Selon vous, nous abordons une nouvelle époque, fondée sur l'assentiment, où l'on s'ajuste tant bien que mal au monde tel qu'il est, sans prétendre le modeler. C'est-à-dire ? Quelles sont les valeurs du nouveau monde qui vient ?

    Michel MAFFESOLI. - On a souvent craint, en France, la fin de ce que l'on appelle couramment «la modernité», c'est-à-dire ce mouvement qui a débuté au XVIIe siècle avec le cartésianisme, et qui décline depuis la moitié du XXe siècle. Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle époque, que certains nomment la «postmodernité». Contrairement à la conception linéariste de l'histoire, qui imagine l'humanité dans un progrès constant, de la barbarie au triomphe absolu de la science, je considère personnellement qu'il y a des époques. La période moderne a reposé sur un trépied, le premier pied est l'individualisme, avec le «cogito ergo sum» de Descartes, le deuxième est le rationalisme, qui va prédominer avec la philosophie des lumières, et enfin il y a le progressisme, la grande idée marxiste des «lendemains qui chantent». De mon point de vue, ce tripode est en train de s'achever, de vaciller, d'une manière assez difficile. Nous sommes dans une période crépusculaire. Chacun pressent ce qu'on est en train de quitter, mais ne voit pas encore nettement ce qui émerge. Je soutiens l'hypothèse selon laquelle le «je» va être remplacé par le «nous», le rationalisme par le sentimentalisme, et le progressisme, les lendemains qui chantent, par le «il faut vivre l'instant présent».

    Durant mes années de professeur à la Sorbonne j'ai eu l'occasion d'étudier les jeunes générations, qui représentent l'avenir de la société. En regardant attentivement les pratiques juvéniles, on voit bien que c'est la communauté qui prévaut, le «nous». Ce n'est plus une conception purement rationaliste du monde, mais un partage des émotions, des affects, des passions. Il n'y a plus d'engagement politique, une vision de l'avenir, mais le besoin de se raccorder à cet instant éternel qu'est le présent.

    Qu'est ce qui a précipité la chute du modernisme ?

    Pour décrire ce déclin j'emprunte généralement l'idée de «saturation» au sociologue américain Pitrim Sorokin, qui s'est demandé comment une culture déterminée peut perdre son caractère «évident» et se dégrader petit à petit. En chimie, on parle de saturation lorsque les molécules qui composent un corps, pour diverses raisons, ne peuvent plus rester ensemble. Ce phénomène conduit à la déstructuration du corps, et à l'émergence d'une nouvelle structure. Ce n'est donc un pas une rupture mais une lente dégradation, et à un moment donné, tout ce qui fonctionnait ne marche plus, tout ce qui semblait évident paraît absurde. On voit aujourd'hui une multitude de phénomènes, qui montrent que l'on ne se reconnaît plus dans des valeurs communes. L'élite, qu'elle soit politique, économique, ou médiatique, est restée sur les schémas de l'époque moderne, mais le peuple ne se reconnaît plus dedans. Sorokin donne l'image d'un verre d'eau, qu'on peut saler sans que cela ne soit visible, jusqu'à un moment précis où la saturation devient évidente. Nous sommes actuellement au dernier grain de sel.

    Vous voyez dans cette logique de l'assentiment une forme de sagesse de la vie présente, de la vie de tous les jours, avec ses malheurs et ses joies...

    C'est toute la différence entre le dramatique et le tragique. La modernité était dramatique dans le sens où il y avait une solution. Toute l'analyse de Marx était de montrer qu'il y avait certes des problèmes, mais aussi des solutions, et que l'on allait vers une résolution générale de l'histoire. L'époque actuelle est davantage tragique, il s'agit de faire avec, d'accepter les problèmes. Le drame revient à dire «non» aux problèmes, la tragédie contient une forme d'acceptation. Cette résilience, qui consiste à s'accorder aux petites choses de l'existence, est une sagesse ancestrale qui fait son retour aujourd'hui.

    L'omniprésence des réseaux sociaux et la multiplication de l'offre de loisirs à domicile (Netflix…) ont-ils fabriqué ou amplifié ce phénomène ?

    Effectivement, les réseaux sociaux et autres plateformes confortent cette saturation. Il est intéressant de se pencher sur la période de la décadence romaine au IIIe et IVe siècle de notre ère. Pendant ces deux siècles, le christianisme n'était pas la religion des puissants, mais des soldats et des pauvres. Ce n'est pas ce culte qui était appelé à triompher, mais plutôt Mithra ou Orphée. Cependant, à un moment donné, la petite église de Milan a décrèté le dogme de la Communion des saints. C'est-à-dire que cette église de Milan était spirituellement liée à celle de Lutèce, de Rome, de Narbonne… C'est cette liaison qui va amener au succès incroyable du christianisme. Et aujourd'hui, me semble-t-il, internet est la Communion des saints post-moderne. Les communautés sont en liaison sur ces plateformes, et créent une véritable alternative, une nouvelle société. Le lien social repose aujourd'hui sur internet.

    Le mouvement des «gilets jaunes» ou les manifestations contre la réforme des retraites ne viennent-elles pas contrebalancer cette idée ? Une frange de la population semble continuer à vouloir changer le cours des choses ?

    J'ai écrit, il y a deux ans, le livre L'ère des soulèvements, dans lequel je prenais le contre-pied de l'historien britannique Hobsbawm, auteur de L'ère des révolutions, qui a été abondamment lu dans les années 70. Cet historien montrait que dans la tradition marxiste et avant-gardiste, il y avait l'idée selon laquelle le peuple allait fonder une société parfaite grâce à la révolution. Je pense que ce n'est aujourd'hui plus le cas, il n'y a plus cette tension révolutionnaire du peuple vers une société parfaite. Nous ne faisons plus face à des révolutions, mais à des soulèvements. C'est-à-dire que le peuple ne se lève plus pour établir une société idéale, mais parce qu'il en a marre. Les manifestations contre la réforme des retraites dépassent le simple cadre de la question des retraites, et renvoient à un mouvement social plus large que l'on a aperçu avec les «gilets jaunes». Ce mouvement est né de l'augmentation du prix de l'essence. Mais ce n'était qu'un prétexte qui traduisait, selon moi, le désir d'être à nouveau ensemble, de se retrouver, sortir de l'isolement. Ce mouvement est de plus en plus fort dans nos sociétés.

    Cet arrangement continuel, qui consiste à se «dépatouiller avec ce qui présente» n'est-il pas un retour en arrière ? Un peuple qui a renoncé à agir est-il voué à sa perte ?

    Je ne crois pas. J'y vois une forme de sagesse populaire. Nous sommes dans un pays où, souvent, les élites méprisent le peuple et cultivent une défiance à son égard. La philosophie de l'Histoire au XIXe siècle, ce qui s'est constitué ensuite dans le communisme soviétique, c'était cette conception d'une histoire assurée d'elle-même, la flèche du temps.

    Le retour du sacré, l'importance accordée au local et au retour des traditions, traduisent une forme d'enracinement dynamique, qui est à l'opposé d'un retour en arrière. Seules les racines et le retour aux racines permettent une forme de croissance.

    Michel Maffesoli (Figaro Vox, 30 janvier 2023)

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  • Le temps des peurs...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un nouvel essai de Michel Maffesoli intitulé Le temps des peurs

    Penseur de la post-modernité, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019), La faillite des élites (Lexio, 2019) ou  L'ère des soulèvements (Cerf, 2021).

     

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    " Nos peurs peuvent-elles être instrumentalisées ? Oui, répond Michel Maffesoli qui montre comment une élite centrée sur les anciennes valeurs productivistes et individualistes " invente " sans discontinuer de nouveaux dangers, pour normaliser et contraindre les comportements individuels.

    La peur est un sentiment intemporel, propre à une espèce humaine consciente de sa finitude. Dans le passé ces émotions ont été régulées par diverses croyances religieuses et par des rites collectifs. La modernité a développé une idéologie du progrès, laissant accroire que l'homme pouvait éradiquer le mal, vaincre la maladie, voire la mort.
    La gestion de la " pseudo-pandémie " s'est inscrite dans cette idéologie scientiste, rationaliste et les diverses élites au pouvoir (politiques, hauts fonctionnaires, experts médiatiques et médiatisés) ont amplifié les dangers, pour justifier la restriction des relations sociales et ce qui constitue en général l'essence de l'Être-ensemble.
    L'auteur analyse ici la stratégie utilisée par le pouvoir : déni de la mort et de la finitude, utilisation de la scène médiatique, stigmatisation de tout mise en cause de la doxa. Il s'attache à inscrire cette critique dans l'idéologie moderne qu'il estime dépassée par les changements de valeurs à l'œuvre dans la société de base.
    Les divers mouvements de rébellion du peuple s'inscrivent en effet dans un refus de l'idéologie progressiste et réhabilite un ordre naturel que la modernité avait cru dépassé. Nous assistons un retour de la Tradition. "

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  • Violence sociale : la lucidité de Dionysos...

    Le 19 décembre 2022, Rémi Soulié recevait, sur TV libertés, Michel Maffesoli à l'occasion de la réédition de son essai, L’ombre de Dionysos (Cerf, 2022).

    Penseur de la post-modernité, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

                                                 

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  • Sécessions adolescentes : les nouveaux mutins de Panurge...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul-Élie Aengler cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux sécessions adolescentes au sein du système éducatif de l'archipel français...

     

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    Sécessions adolescentes. Les nouveaux mutins de Panurge

    S’il est un lieu où chacun peut observer les nombreuses et diverses sécessions qui traversent la France, c’est bien l’école. Tout professeur en a conscience : l’école n’est plus le moule civique et culturel qui « fabriquait » des Français. Bien au contraire, c’est désormais à l’institution scolaire et au savoir académique de s’adapter à « l’archipel français », pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet.

    Dans toutes les salles de classe, les nouveaux clivages culturels et ethniques apparaissent aujourd’hui de manière évidente. Certes, cela fait longtemps que les sociologues analysent les différentes tribus adolescentes qui peuplent depuis Mai 68 les cours de récréations des collèges et des lycées : « gothiques », « geeks », « racailles », « rockeurs », autant d’affiliations possibles pour adolescents en quête d’une identité à la fois grégaire et rebelle. Ces clans formaient jadis un ensemble de contre-cultures opposées à la culture officielle condamnée depuis Bourdieu comme « bourgeoise » par toute une partie du corps enseignant lui-même. Pourtant, la situation actuelle offre aux yeux du professeur attentif quelques traits inédits.

    Cultures et contre-cultures scolaires

    C’est la culture classique qui n’existe plus, du moins en tant que culture de référence, que ce soit parmi les élèves ou dans le contenu des enseignements. À l’exception de quelques grands lycées de centres-villes, la plupart des élèves n’ont pas la moindre idée de son importance. Leur propre civilisation leur est désormais essentiellement étrangère, puisqu’elle est assimilée à une simple collection de vieilleries dénuées de sens : à quoi bon Molière ou Descartes alors que leur compréhension nécessite un effort que la tyrannie de l’immédiateté a aboli ? Tout converge vers une simplification de la langue. Ce phénomène explique l’effondrement de la maîtrise de la langue française, mère de toutes les sécessions scolaires. À cet égard, on peut se reporter au précieux réquisitoire du professeur René Chiche dans La désinstruction nationale (2019, Ovadia). Celui-ci a le courage de parler de « quasi-illettrisme » pour désigner cette implosion de la langue commune constatée lors de la correction de centaines de copies du baccalauréat « écrites en un charabia qui emprunte vaguement au français comme à une langue étrangère ».

    Quant aux professeurs, soit ils ne connaissent plus cette culture de référence, soit ils en ont honte ou sont forcés de s’avouer vaincus par l’esprit du temps : l’autocensure et la simplification du savoir triomphent, fût-ce au prix d’un énième renoncement. Certes, il y a encore quelques chaînes de transmission qui fonctionnent, quelques élèves attentifs à ce legs du passé, mais ces élèves ne font que survivre dans un univers désormais hostile à l’idée d’une hiérarchie culturelle. C’est la grande bascule : l’ancienne culture de référence est devenue une contre-culture minoritaire à l’école, un des nombreux ilots de l’archipel scolaire – et ce parmi les élèves et les professeurs. Voilà la première condition de la sécession, lorsque la norme devient l’exception et l’exception la norme.

    Parmi toutes ces contre-cultures qui se font face, n’y en-a-t-il aucune qui ne tende alors à dominer les autres ? Il serait naïf de ne pas le croire, car la nature a horreur du vide. Dans la plupart des établissements, l’évolution démographique a tranché : c’est désormais l’Islam, même mal connu et parce que mal connu, ainsi que la culture rap qui dominent les mentalités. Concernant l’Islam, la plupart des élèves accordent à la religion musulmane le prestige que la catholique assumait jadis : dans les cours de biologie et de philosophie, la nouvelle norme du sacré est bien islamique. Combien de professeurs ont-ils affronté l’incrédulité généralisée concernant l’évolutionnisme ? Et parce qu’authentiquement sacrée aux yeux de la plupart des élèves, musulmans ou non, c’est une norme avec laquelle il faut nécessairement composer, en tant qu’élève dans la cour de récréation et en tant que professeur dans la salle de classe.

    Sur le Coran, ma mère !

    Le cours de philosophie sur la religion se résume souvent à un défi insurmontable. Impossible de rester dans le cadre théologique chrétien, pourtant parfaitement acclimaté à la rationalité grecque, puisque ces références sembleraient exclure les élèves de confession musulmane et que tous les élèves, non-musulmans compris, trouveraient à y redire. Impossible également de discuter des dogmes et textes musulmans, puisque le professeur oserait s’immiscer dans la sphère du sacré partagée par la plupart des élèves : la nouvelle bigoterie est d’origine coranique mais intériorisée par tous. Les « wallah » et « sur le Coran » constituent d’ailleurs la trame de fond des récréations comme des interclasses. Plus étonnant, les enseignants découvrent à quel point certains élèves chrétiens en minorité revendiquent avec fierté la pratique du carême, copiant inconsciemment celle d’un ramadan devenu prépondérant dans de nombreux établissements. C’est donc la déférence vis-à-vis de l’Islam qui sert de référence commune de remplacement.

    Concernant la culture rap, qu’il est désormais absurde de qualifier de « contre » culture, son hégémonie est incontestable, y compris dans les lycées plus bourgeois où le survêtement et le rap ont depuis quelques années écrasé la concurrence. Les paroles et l’imaginaire de ce genre musical lui octroient désormais le monopole de la subversion, de la véhémence et de la virilité. La victoire est donc revenue à la tribu la plus agressive. Mais dans les lycées périphériques, exhiber cette obédience n’est pas seulement un signe de bon goût adolescent, c’est surtout un moyen d’intégration, voire de survie sociale. Pour les garçons, adopter les codes sociaux du groupe dominant laisse espérer une immunité contre le harcèlement. Les filles elles-mêmes ne s’y trompent pas : adopter les codes de la « rue » est un mécanisme de défense fort efficace pour se faire respecter.

    La colonie de nos colonies

    Évidemment, cette nouvelle culture dominante à mi-chemin entre la Mecque et les États-Unis a un même terreau : l’immigration massive des dernières décennies. « La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur », disait Horace (Épîtres, II) : par l’un de ces retournements dialectiques dont l’histoire a le secret, les descendants des populations anciennement colonisées imposent désormais consciemment et inconsciemment leur spiritualité et leur esthétique aux autochtones qui se doivent de faire allégeance. Le nomadisme identitaire a remplacé la culture sédentaire anciennement majoritaire, puisqu’il est désormais honteux de ne pas avoir d’origines : quand on est un « petit Blanc », on en vient à déterrer des aïeuls italiens ou polonais pour cultiver son extraterritorialité.

    Ainsi, à l’école, les minorités devenues majoritaires sont maintenant capables de tyranniser la majorité devenue minoritaire. Cette matrice sécessionniste à laquelle tout le monde semble se résigner a de nombreuses répercussions, y compris pour les rares familles qui semblent encore y échapper : contournement de la carte scolaire, établissements privés, cours particuliers. C’est alors le tribalisme multilatéral qui surgit pour compenser la désaffiliation culturelle, ainsi que le notait déjà Michel Maffesoli dans Le temps des tribus (1988) : « Le tribalisme rappelle l’importance du sentiment d’appartenance à un lieu, à un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. » Et dans les lycées lambda, les tribus adolescentes sont en passe d’être submergées par la plus prosélyte et la plus féconde d’entre elles. Au monde de Michel Maffesoli, répond ainsi celui de Philippe Muray, matons et mutins de Panurge.

    L’école et le monde de demain ne seront pas le paradis de l’intersectionnalité mais l’enfer de l’incommensurabilité : un espace conflictuel sans culture véritable, c’est-à-dire sans commune mesure capable de transcender les tribus particulières.

    Paul-Élie Aengler (Site de la revue Éléments, 11 octobre 2022)

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  • Disparition de François-Bernard Huyghe, un phare en pleine tempête...

    Nous reproduisons ci-dessous un hommage rendu par Goulven Laënnec à  François-Bernard Huyghe, décédé le 1er septembre dernier. Goulven Laënnec est professeur de philosophie et étudie en particulier la post-modernité et les transmutations qu’elle produit dans la pensée, l’art et les idéologies.

     

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    Disparition de François-Bernard Huyghe, un phare en pleine tempête

    Un brillant analyste

    François-Bernard Huyghe qui vient de disparaître nous laisse une œuvre considérable, faite de livres, de conférences, d’articles dans des revues et magazines, de posts sur son blog, d’interviews réalisées à la télévision ou dans des publications. A l’instar de son père René Huyghe, dont l’œuvre de « Psychologie de l’Art » (titre de sa chaire au Collège de France) constitue à côté de celle de Malraux une somme exceptionnelle pour l’interprétation et la compréhension, esthétiques mais aussi philosophiques, de ce qui a été l’Art qu’on appelle de façon restrictive occidental, celle de François-Bernard Huyghe forme un corpus cohérent de connaissance de ce qu’on pourrait appeler l’idéologie du leurre, arme essentielle de l’hégémonie sur le monde.

    François-Bernard semble avoir eu un parcours atypique dès sa jeunesse : brillant comme il l’était, il n’a pas préparé de concours d’entrée à de grandes écoles, mais fait des études de droit et de politologie. Sceptique sur les utopies ou les contre-utopies comme il l’a montré, on dit qu’il a participé à des actions de barrage aux milices « révolutionnaires » de l’époque à l’université sans pour autant avoir paru adhérer à un mouvement, notamment sur le plan intellectuel.

    Comme un ethnologue étudie les cultures des civilisations, comme un historien de l’Art étudie les créations des artistes, François-Bernard avait entrepris d’étudier les discours du faire croire de ceux qui exercent le leadership.

    La Soft-idéologie, le premier d’entre eux était dès 1987 l’un des rares livres qui prévoit de façon impressionnante – avant la chute de l’URSS et la métamorphose du « monde libre » en planète – la conjonction des trois victoires irrésistibles qui ont forgée dans la décennie 90 la doctrine de l’upperclass peu à peu dirigeante : victoire idéologique et culturelle de l’extrême-gauche sur les idées conservatrices, nationales ou sur la nouvelle droite ; victoire économique de l’extrême libéralisme financier mondialiste sur les socialismes ; victoire politique de la position centriste, devenant l’extrême-centre, sur les positionnements partisans à gauche ou à droite. Tout cela accompagné par la lutte des classes, qui renverse (sans révolution violente apparente) la classe dirigeante, la bourgeoisie industrielle, et la remplace désormais par la caste issue de la fusion entre banquiers, directeurs de fonds et de grandes entreprises, et hauts-fonctionnaires.

    C’est de l’amalgame improbable et surprenant de cette triple victoire qu’est née un monstre ou une chimère, l’idéologie mère du « neo-cons », c’est-à- dire du néo-conservatisme américaine (qui n’a rien à voir avec la Konservative Revolution). Elle inspire la politique d’hégémonie exclusiviste des États-Unis d’Amérique sur le monde, et en premier lieu sur le dominion confus qu’est l’Europe, conquise dès l’opération Overlord, mais également sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud Est, le Japon etc.

    La soft-idéologie, qui « mêle gestion conservatrice et rêves soixante-huitards » est l’expression d’un désarmement intellectuel et moral subliminal obtenu par l’utilisation du soft-power que donne d’une part l’american way of life avec Holywood, Coca-Cola, Boeing, Disney, IBM, Mac Donald, Levi’s, etc. d’autre part l’influence symbolique (les MBA à Harvard, Stanford, Berkeley, et leurs alumni, etc).
    Elle légitime tout ce que peut annoncer la « pensée unique » qui déjà exclut subrepticement toute possibilité d’objection, a fortiori d’opposition, rejetées comme forces de désordre voire de violence. C’est la continuation du « terrorisme intellectuel » pratiqué durant la IVème République, mais en beaucoup plus malin. Il s’agit d’intensifier la pratique de la censure et l’exclusion, mais sans interdit visible, imposé par la coercition, par un discours soft consensuel, résigné et hédoniste. François-Bernard Huyghe en renvoyant au monde cette image stupéfie tous les « leaders d’opinion », qui lui emboite le pas pour les plus intelligents, ou grimacent pour les autres, scandalisés par cette irrévérence qui congédie leurs répétitions à satiété des dogmes sur lesquels était assise leur autorité.

    Un travail essentiel

    La Langue de coton qui suivra décrit très concrètement les techniques et les méthodes oratoires et rédactionnelles qu’emploie les dominants pour asseoir leur pouvoir. « La langue de coton a le mérite de penser pour vous, de paralyser toute contradiction, et de garantir un pouvoir insoupçonné sur le lecteur ou l’auditeur. » Elle confère donc l’autorité, qui donne le plein pouvoir.

    Par la suite, lorsque la soft-idéologie et sa langue de coton sont captés par les nouveaux maîtres de l’univers néo-libéraux (qui n’ont rien de libéraux) après le crash du monde socialiste, François-Bernard Huyghe oriente sa pensée dans trois directions : l’histoire des mythes eurasiens, constitués par le mixte des informations et désinformations qui circulent le long des routes de la soie ou des épices ; la médiologie, fondée par Régis Debray, qui étudie comment les idées sont formatées par leur véhicule de transmission ; l’analyse en live des phénomènes d’intoxication qui apparaissent avec la révolution numérique et la vogue des réseaux sociaux, ou se transforment avec elle : cyber, terrorismes, influences géopolitiques, à laquelle il se livrera avec l’IRIS, think-tank dédié à l’étude des stratégies internationales.

    Les ouvrages incontournables qu’il publie selon ces trois perspectives sont donc notamment La route de la soie ou les empires du mirage, Les Coureurs d’épice, d’une part. Maîtres du faire croire, de la propagande à l’influence, L’ennemi à l’ère numérique, La Désinformation, L’Art de la guerre idéologique, et son dernier livre, La Bataille des mots ; La Quatrième guerre mondiale, Le terrorisme, violence et propagande, Réflexions sur le Cyber, Fake-News, etc.

    Cette œuvre apparait très cohérente de bout en bout : elle éclaire pour les dénoncer les nouveaux pouvoirs qui utilisent les techniques de la persuasion et de la subjugation pour s’imposer sans avoir à user de la coercition, coercition qu’ils savent pourtant utiliser contre les soulèvements, comme on a pu le voir ces temps derniers.

    En cela, François-Bernard Huyghe, qui a conçu sa propre discipline, est un des grands penseurs de la modernité et de la post-modernité : avec Marshall Mc Luhan, Jean Baudrillard, Régis Debray, Gilles Lipovetski, Raymond Boudon, Michel Maffesoli…

    Il se trouve sur un échiquier de plusieurs thématiques essentielles. Ainsi il fait partie de ceux qui se sont consacrés à l’étude de la production d’une réalité virtuelle destinée à doubler la réalité pour la masquer et rendre dépendants les gens. Ensuite, il prend la suite de tous ceux qui se sont attachés à décrire les mécanismes des propagandes de guerre, et dont il prend la suite, il explique l’évolution et la professionnalisation de ces règles. Enfin il rend compte des modalités d’influence sur les opinions, et même de la façon dont on parvient à prendre le contrôle des consciences des individus et des foules, par des processus qui ressemblent aux phénomènes de contagion et d’imprégnations (impreatment) dans la biologie.

    Et il étudie de façon clinique en renversant les perspectives les opérations de terrorisme, de complotisme etc., acceptant de les commenter « à chaud » sur  les chaines télévisées d’information continue par exemple.

    Son but est de dessiller les yeux, pour permettre de voir. Il ne construit pas de doctrine politique ni de philosophie. S’il a une doctrine politique, ce serait probablement celle de George Orwell, qui n’en avait pas hormis celle de refuser la domination de Big Brother. Et s’il a une philosophie, ce serait sans doute celle de Clément Rosset. Ce philosophe essaie de penser le réel sans échappatoire sous forme de monde parallèle : le réel est ce qui est, sans double. Le trompe-l’œil du double exprime le refus du réel ou la volonté de tromper. D’où une conception joyeuse et tragique tout-à-la fois. C’était sans doute celle de François-Bernard Huyghe, dont l’œuvre apparait à la fois objective et dépourvue d’émotivité et en même temps empreinte de gaité, d’ironie et d’humour.

    Tous ceux qui s’opposent à la dénaturation des esprits entreprise pour obtenir une déconstruction chaotique des civilisations suivront encore longtemps les analyses clairvoyantes de François-Bernard Huyghe.
    Il reste un phare puissamment allumé alors que nous naviguons dans la tempête.

    Goulven Laënnec (Polémia, 24 septembre 2022)

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  • La revue de presse d'un esprit libre... (53)

     

     

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    La revue de presse de Pierre Bérard

    Au sommaire :

    Fulgurante analyse de Guy Mettan sur la guerre russo-ukrainienne et ses conséquences prévisibles. Cet ancien rédacteur en chef de La Tribune de Genève rétablit la chronologie des évènements, montre le succès de la gigantesque opération psychologique à laquelle se sont livrée les médias occidentaux et surtout en décrit les conséquences à savoir le déclassement de l’Europe et sa totale servitude aux intérêts américains :

    https://guymettan.blog.tdg.ch/archive/2022/04/01/les-dessus-et-les-dessous-de-la-guerre-en-ukraine-321227.html

     
    Bonne vidéo sur le récent colloque de l’Iliade :
     
     
    Plus une courte vidéo sur les formations dispensées par l’Iliade. N’hésitez pas à la diffuser à vos connaissances :
     
     
    Revenant sans cesse aux étymologies grecques ou latines des mots qui touchent au politique, Michel Maffesoli dans cet entretien avec TV-liberté pour la quatrième réédition de La transfiguration du politique revient aux enseignements de son maître Julien Freund : à l’origine la politique consiste à bien gouverner sa maison. Pour les Grecs seuls méritent d’être élus pour gérer la maison commune ceux qui ont fait leur preuve dans la gestion domestique. Aujourd’hui la politique n’est plus liée au réel, c’est à dire attachée à la gestion de ce que nous vivons concrètement, elle s’est abstraite de tout cela; c’est le sens profond du mot transfiguration. La politique est devenue une théâtrocratie, c’est le mot qu’utilisait Platon pour signifier la dégénérescence de la démocratie. Ce théâtre de la caste politique est de plus en plus éloigné des préoccupations des électeurs, il est déraciné. À ce propos il évoque Guy Debord (« société du spectacle ») et Jean Baudrillard (« simulacre »). L’accent des discours politiques est mis de ce fait sur le « pathos » et non plus sur la « ratio », c’est le règne de l’émotion encourage par un hyper moralisme. Entretien très intéressant :
     
     
    « L’immonde dans lequel nous survivons » par Rémi Soulié. Une excellente vidéo produite par le zoom de TV-Liberté :
     
     
    Le point de vue de François Bousquet à l’issu du premier tour :
    « Quelques considérations politiques en ce lendemain de 1er tour :
    1. La France est un vieux pays, mais c’est surtout un pays de vieux. Si les plus de 65 ans n’étaient pas allés voter, on aurait eu droit à un second tour Marine Le Pen - Jean-Luc Mélenchon. La France est une gérontocratie vaccinale. Elle redemande une dose.
    2. Éric Zemmour s’est trompé de public. Il est revenu à son périmètre de départ : les pics d’audience de Cnews. Or ce n’est pas Médiamétrie qui dépouille les bulletins de vote. Ni le Trocadéro qui fait déplacer le populo. Doit revoir sa copie.
    3. Valérie Pécresse a été élue par défaut à la primaire LR et battu par KO à la présidentielle. Deux tiers Merkel, un tiers Thatcher, zéro de Gaulle. Quand elle donne des coups de menton, elle ne fait trembler que la vaisselle. C’est tout. Qui y a jamais cru ?
    4. Les acquis fondamentaux validés, Marine Le Pen a fait jouer la seule logique en temps de crise : « Qui est le moins cher ? », le comparateur de prix des Leclerc. La marque Repère dans une France sans repère. À deux euros le litre, les GJ votent avec leur voiture.
    5. Terra Nova a gagné à gauche, mais ce n’est pas le PS qui a raflé la mise, c’est LFI. À 49 % dans le 93 et 47 % dans le 20e, l’islamo-gauchisme s’éclaire. Naissance du Mélenchonistan, nouvelle force politique. La Mecque à Paris Plages, la colline du crack en perspective».
     
    Les matins de France culture donnent la parole à François Bousquet qui trace le bilan des dernières élections. Selon lui tous les populistes sont animés par un comportement d’échec et il prévoit en conséquence une défaite de Marine Le Pen au second tour. Par ailleurs il souligne que « lunion des droites » est un mythe sans consistance qui essaie de traduire en terme politique l’énergie qui a surgi de « La manif pour tous », celle d’une bourgeoisie qui se voudrait traditionnelle mais qui a l’arrivée préférera toujours son confort à l’aventure. Bousquet pense que seule est d’avenir une politique qui s’inscrira dans le schéma proposé par Guilluy et Jérôme Sainte-Marie d’une sociologie qui oppose les classes populaires toujours plus appauvries à la couche des privilégiés de moins en moins nombreuse et de plus en plus rapace.
     
     
    Jean-Yves Le Gallou s’entretient avec François Bousquet et se livre à une sorte d’autocritique de la campagne Zemmour à laquelle il a participé. Son appréciation, par ailleurs excellente, note que la campagne Zemmour au delà de ses aléas a contribué de toute évidence à déplacer la fenêtre d’Overton et à imposer le thème du « grand remplacement ». Métapolitiquement c’est un succès. Cette campagne, même si ses retombées électorales apparaissent décevantes, a permis dengranger des dizaines de milliers de militants jeunes, enthousiastes et bien sûr beaucoup mieux éduqués que les maigres phalanges de Marine Le Pen. Cet ensemble est un gage d’avenir, même si toutes les institutions sont rongées par la propagande de l’esprit woke. En fin d’entretien Le Gallou parait croire à une communautarisation des autochtones. Ce pourrait être un débouché face aux procédures électorales qui semblent de plus en plus bouchées :
     
     
    Marcel Gauchet invité sur les ondes d’Europe 1 détaille un bon diagnostic sur le second tour des présidentielles. Pour lui « Marine Le Pen représente une droite autoritaire, nationale et populaire, qui évoque furieusement les débuts du gaullisme. Elle n’est pas d’extrême droite. On gagnerait à le reconnaître » :
     
     
    Lionel Baland résume à gros traits la substance d'un livre de Benedikt Kaiser sur le patriotisme solidaire qui dénonce la dérive d’une partie de la sphère patriotique allemande vers le néo-libéralisme. Benedikt Kaiser est éditeur et membre de la nouvelle droite allemande :
     
     
    Sur le site d’Éléments une belle réflexion de François Bousquet sur Pier Paolo Pasolini et son rapport aux mythes :
     
     
     
     
    I-média du 14 avril. L’émission de Jean-Yves Le Gallou est principalement consacrée à la re-diabolisation de Marine Le Pen. Le paratonnerre Zemmour ne fonctionnant plus la rengaine bien connue du retour du fascisme se détourne sur Le Pen. On nous joue ce tintamarre depuis des décennies. Bien que peu de gens aient une mémoire incluant ce que fut le fascisme réel, aient été forcé de boire de l’huile de ricin et aient été bastonné à coup de manganello. On citera un expert en la matière, monsieur Jospin, qui reconnaissait que le soi disant « fascisme » de 2002 n’était que comédie. Fasciste est une invective commode quand on se refuse à réfléchir sur ce qui nous arrive :
     
     
    Pierre Brochand (HEC, ENA) ancien directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure de 2002 à 2008 a publié dans Le Figaro un article important sur l’immigration de masse et ses conséquences prévisibles. Résultat de ces propos chocs dans les médias : à peu près rien. Analyse de l’OJIM :
     
     
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