Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dominique Jamet cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au divorce entre la nation et le chef de l’État.
L'encombrant
La lettre de la Constitution est une chose. Autre chose ce qu’en font, au fil du temps, les amendements qu’on lui ajoute et qui l’améliorent ou la dénaturent, l’interprétation qu’on lui donne, l’usage qu’on en fait. Déçu par le résultat des législatives de 2022 qui ne lui avaient donné qu’une majorité relative, puis indirectement mais massivement désavoué lors des européennes de juin 2024, le président de la République était parfaitement en droit, tant d’un point de vue personnel et politique que dans le cadre de la loi fondamentale, d’en appeler au peuple en espérant que les électeurs reviendraient sur leur choix et rétabliraient avec lui ce lien de confiance que suppose et qu’impose même un système démocratique. D’où la dissolution… et la confirmation, voire l’accentuation, de la prise de distance ou, pour mieux dire, du divorce entre la nation et le chef de l’État.
Un Président minoritaire dans le pays
Dès lors, il était concevable qu’Emmanuel Macron, constatant son erreur, conscient de la réalité et se montrant à la hauteur de ses responsabilités devant les hommes et devant l’Histoire, admît son échec, en comprît la leçon et en tirât aussitôt les conséquences. Un autre, plus grand que lui, en avait donné il y a plus d’un demi-siècle l’exemple dont il convient, pour être équitable, de rappeler qu’il n’aura été suivi par aucun de ses successeurs. La dignité et la lucidité ne vont pas toujours de pair avec l’ambition et l’accession au plus haut poste de la République.
Minoritaire dans le pays, jusqu’à ne plus recueillir que 16 % d’opinions favorables, soutenu à l’Assemblée nationale par un tiers des députés dont bon nombre ne doivent leur élection qu’au barrage dit « républicain » qui a faussé l’expression du suffrage universel, Emmanuel Macron a choisi de rester en place et proclame, en toute occasion, qu’il ira jusqu’au bout du mandat que lui a confié le peuple en 2017, qu’il lui a renouvelé en 2022… mais qu’il lui a, de fait sinon de droit, refusé il y a maintenant seize mois. Cela, alors que, parallèlement et pour la première fois depuis 1958, l’Assemblée nationale, divisée en trois groupes sensiblement équivalents et totalement inconciliables, est congénitalement incapable d’accepter et de soutenir quelque gouvernement que ce soit.
D’où l’affaiblissement conjoncturel puis l’effondrement passager d’un système et d’un équilibre qui reposent soit sur l’existence d’une majorité présidentielle soit sur la cohabitation organisée et mutuellement consentie entre un chef de l’État aux pouvoirs réduits et un gouvernement issu de la majorité parlementaire. D’où le retour du jeu mortifère des partis. D’où l’instabilité gouvernementale et la succession à Matignon, en un peu plus d’un an, de trois Premiers ministres, comme au mauvais vieux temps de la IVe dont le général de Gaulle avait cru exorciser définitivement le spectre et les mœurs qui avaient fait de la France la risée de l’Europe et du monde. La France est redevenue ce navire sans commandant de bord et sans gouvernail, sans chef et sans gouvernement, qui dérive au fil de l’eau sous les regards navrés, condescendants, amusés ou ravis de ses supposés ennemis comme de ses prétendus amis.
L'entêtement irresponsable d'un Président
De cette situation inédite, ce n’est pas le mouvement citoyen et marginal « Bloquons tout » qui est responsable, mais bel et bien un apprenti Président pas sorcier dont l’entêtement irresponsable, après les avoir suscités, entretient et aggrave jour après jour le désordre, l’impuissance et le chaos dans lesquels nous sombrons jour après jour. C’est lui qui, soit par une nouvelle dissolution, soit par sa démission suivie de l’élection présidentielle, détient les clefs qui permettraient de remettre en marche la mécanique qu’il a enrayée.
Mais il s’y refuse obstinément et semble se satisfaire de l’accommodement bancal qui, du fait de l’imprécision des textes et de pratiques qui ne sont pas rigoureusement définies, lui permet de continuer à s’ébattre et à folâtrer dans ce « domaine réservé » de la défense et des affaires qui lui sont étrangères où il est maître, entre vacances méditerranéennes, voyages protocolaires, conférences internationales et session de l’ONU, ne cesse d’accumuler erreurs, fautes, incohérences, rodomontades, discours musclés et incohérents, et fait tout son possible pour rendre inévitable une guerre que, n’ayant pas la moindre idée ni la moindre expérience de ce qu’est la guerre, il s’évertue à nous présenter comme nécessaire, voire souhaitable, et à nous vendre sans jamais solliciter sur ce sujet mineur ni le Parlement ni les citoyens. L’égocentrisme, l’orgueil insensé et l’irréalisme, dans ce domaine comme dans les autres, ont déconnecté le Président du monde réel.
Les municipalités, les éboueurs et les simples particuliers savent ce que sont les encombrants ménagers. Le dictionnaire les définit clairement comme des rebuts volumineux dont la destination finale est naturellement la déchetterie ou l’incinérateur. Le Président Macron, qui s’accroche aux prérogatives, se complaît aux apparences et s’incruste dans les palais du pouvoir, pourrait rester quelque temps dans les mémoires avant de sombrer dans l’oubli, comme un encombrant sonore et vain dont la si fulgurante et si décevante trajectoire est d’ores et déjà vouée aux poubelles de l’Histoire.
Dominique Jamet (Boulevard Voltaire, 4 octobre 2025)