Les éditions Les Liens qui Libèrent viennent de publier La fabrique des imposteurs, un essai de Roland Gori. Psychanaliste, Roland Gori est notamment l'auteur de La santé totalitaire - Essai sur la médicalisation de l'existence (Denoël, 2005).
"L’imposture a toujours existé mais certaines sociétés la favorisent plus que d’autres. L’imposteur est aujourd’hui dans nos dispositifs d’évaluation et de normalisation comme "un poisson dans l’eau" : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l’idéal, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses volutes plutôt que la pensée critique, les "mouvements de manche" plutôt que la force de l’oeuvre, voilà le "milieu" idéal pour que prospère l’imposture ! Notre société du conformisme et de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et grimée de publicité tapageuse, d’éloges factices du vrai, de reproduction en masse de l’unique, fabrique de l’imposteur.
L’imposteur est un authentique martyr du lien social, virtuose de l’apparence, "maître" de l’opinion, "éponge vivante" des valeurs de son temps, "cannibale" des modes et des formes dont il s’affuble comme des "fétiches" pour parer à l’inconsistance de son existence, pour vivre à crédit, au crédit de l’Autre. L’imposture est parmi nous, elle est la soeur siamoise du conformisme galopant, de l’homogénéisation croissante des cultures et des styles.
Ce conformisme a un prix, lourd, très lourd : la stérilité des reproductions contrôlées, la violence symbolique des automatismes sociaux, la prolétarisation généralisée de l’existence. Au nom des normes les pouvoirs "sécuritaires" inhibent les sujets comme les peuples, les empêchent de créer et de s’émanciper en confisquant le débat démocratique, en discréditant l’art de transmettre l’expérience.
Au risque de fabriquer demain une société de "termites" ou de robots parfaitement adaptés aux exigences de compétitivité et de précision de la nouvelle économie "globalisée". Par une intimidation sociale très précoce et insidieuse, contraignante mais compassionnelle, cette civilisation des mœurs emmène vers une soumission forcée aux normes, fabrique parfois ses propres risques qu’elle feint ensuite d’éradiquer."