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A la grâce de Drieu !...

Nous reproduisons ci-dessous un beau texte de Philippe Bilger, cueilli sur son blog Justice au singulier et consacré à Pierre Drieu La Rochelle.

 

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A la grâce de Drieu

Un poème de Robert Brasillach, fusillé pour collaboration à cause d'articles fascistes et odieux, n'a pas le droit d'être cité dans une allocution politique.

Drieu la Rochelle qui s'est suicidé va être édité dans la Pléiade.

Il y a quelque temps, alors même que ses écrits antisémites seront exclus de l'édition papier bible, on a mis en cause les éditions Gallimard pour cette initiative en leur reprochant de donner du lustre littéraire à un "salaud", en schématisant. C'est l'éternel et lassant argument de ceux qui voudraient ajouter à la mort désirée ou imposée la seconde intolérable qu'est l'oubli, l'indifférence, la relégation. Cette démarche d'étouffement est heureusement de moins en moins comprise et acceptée.

Le remarquable mensuel "Service Littéraire", traitant de l'actualité romanesque sous l'égide intelligente et libre de François Cérésa, a consacré un texte honnête, sous la signature de Bernard Morlino, à Drieu la Rochelle, la NRF et la Pléiade. On y apprend des choses passionnantes, surtout que les éditions Gallimard avaient une dette à son égard dont la Pléiade constitue le probable remboursement.

Drieu la Rochelle, en effet, a dirigé la NRF du mois de décembre 1940 au printemps 1943, durant une période évidemment épouvantable. Sa présence et son action ont évité à Gaston Gallimard la tutelle d'un administrateur allemand. Il n'empêche que sous son empire la NRF s'était dénaturée en Nouvelle Revue Fasciste.

Emmanuel Berl, dont la sincérité et l'acuité sur ces temps sombres et équivoques ont toujours été portées au plus haut, a affirmé que "Drieu a sauvé la NRF et que sans lui l'empire Gallimard risquait de s'effondrer pour toujours".

Cela n'enlève rien au délire politique de Drieu qui écrit un jour dans "sa" revue "qu'il n'a pas vu d'autre recours que dans le génie de Hitler" avant, désabusé devant le désastre du grand rêve européen que le Führer avait pour mission d'incarner, de se retirer du jeu et de mettre fin à ses jours après deux tentatives manquées.

Mais Drieu, ce n'est pas que cela. Pas plus que Brasillach n'est que la phrase jamais citée dans son intégralité mais abjecte où il écrit qu'il faudrait "se séparer des juifs en bloc" et "ne pas garder les petits". Encore récemment, Abel Mestre, dans Le Monde, en a fait un argument central contre le FN et l'évocation d'un poème de Brasillach dans un discours. Il y a des horreurs qui sont sans cesse exploitées par des gens qui généralement n'ont rien lu d'autre de ces auteurs que le pire sélectionné et omniprésent.

Drieu la Rochelle, c'est aussi l'homme qui, dans la livraison de la NRF de février 1941, a accueilli Paul Eluard. Sans doute la raison, inspirée par la mauvaise conscience, pour laquelle ce militant et poète communiste fut impitoyable à la Libération à l'égard d'un Drieu déchu.

Drieu, c'est également la personnalité qui fit en sorte de "veiller à ce qu'il n'arrive jamais rien à Malraux, Paulhan, Gaston Gallimard et Aragon". Et il y parvint.

La NRF fut livrée, un peu moins de trois ans, à la grâce de Drieu. La reconnaissance de Gallimard n'aurait pas été possible sans le talent indéniable de l'écrivain : Gilles, Récit secret, le Feu follet, Rêveuse bourgeoisie...

Si on nous laissait lire, vivre !

Philippe Bilger (Justice au singulier, 21 mars 2012)

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