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Cocaïne : l'ère du vide...

Nous reproduisons ici un article intéressant de Xavier Eman publié sur le blog du Choc du mois et consacré à la banalisation de la consommation de la cocaïne...

Nous vous rappelons que le Choc du mois (février 2011) est actuellement diponible en kiosque.

 

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Cocaïne

Les sectateurs acharnés de la démocratisation tous azimuts et de l’égalitarisme généralisé peuvent se réjouir : jadis drogue des élites politiques, des rock stars écorchées vives et des traders épuisés par leurs gesticulations boursières, la cocaïne est en passe de devenir le stupéfiant de monsieur tout le monde, la came du citoyen lambda, le passeport pour la défonce de tout un chacun.
C’est au milieu des années 2000 que la poudre blanche a glissé des mains des nantis à paillettes pour se répandre dans l’ensemble de la société et dans la plupart des secteurs professionnels, tout particulièrement le BTP, la restauration ou le commerce, souvent à titre de stimulant (1).

La cocaïne est ainsi devenue la deuxième drogue la plus consommée en France (et en Europe), juste derrière le cannabis qui voit sa domination menacée. Le petit joint n’a en effet plus vraiment la cote auprès des nouvelles générations pour lesquelles il s’est tellement banalisé qu’il n’offre désormais plus le degré minimum de frisson transgressif. Les post-soixante-huitards enfumés du bulbe, qui trouvaient très « sympa » et très « progressiste » de rouler leurs « bédots » devant leurs rejetons et même d’en partager avec eux, en sont donc pour leurs frais. Pas plus qu’elle ne désire s’habiller comme eux, leur progéniture ne veut se cantonner aux drogues de papa-maman. Passage donc à la vitesse supérieure : en route pour la cocaïne !
Les causes de cette spectaculaire extension de la consommation de « poudre blanche » sont multiples. Tout d’abord, il y a la saturation du marché américain qui a vu les flux de trafics se réorienter vers la vieille Europe. Une hausse de l’offre qui a entraîné une importante diminution des coûts pour le consommateur. Ainsi, de 1997 à 2007, le prix du gramme de cocaïne a chuté de moitié, passant de 120 à 60 euros environ.

Le « rail » coupe d’abord l’axe Auteuil, Neuilly, Passy

Les plus importants pays producteurs de cocaïne sont situés en Amérique latine, la Colombie, le Pérou et la Bolivie se partageant le marché. Selon les sources officielles américaines, les plantations d’arbustes à coca en Amérique latine produisent annuellement de 900 à 1 000 tonnes de cocaïne, démontrant au passage l’échec total de la « guerre à la drogue » cornaquée par les Etats-Unis dans la région.
Dans l’Union européenne, selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 10 millions d’adultes entre quinze et soixante-quatre ans ont consommé cette drogue au moins une fois. 4,5 millions en ont consommé au cours des douze derniers mois et 2,5 millions durant les trente derniers jours.
En France, le nombre de consommateurs de cocaïne parmi les 12-75 ans est estimé à environ 1 million de personnes, avec une hausse spectaculaire en dix ans, ce nombre ayant plus que doublé de 1995 à 2005.
La cocaïne est désormais partout et il n’a jamais été aussi facile de s’en procurer. Si les lascars de banlieues ne dédaignent pas d’ajouter la « CC » à leur panoplie de Tony Montana de supérettes Franprix, c’est toutefois essentiellement dans les classes moyennes et moyennes-supérieures des centres-villes que la « mode » de la ligne de poudre tend à devenir un véritable phénomène sociétal.

Les ados accros ? Des toxicos mornes et sordides

Les adolescents des lycées « chics » en consomment notamment de plus en plus jeunes et de plus en plus fréquemment. Ayant déjà expérimenté le cannabis et les cigarettes dès la cinquième ou la quatrième, leur curiosité et leur goût de la transgression sont titillés dès leur passage en seconde par l’image de la cocaïne, cette drogue largement représentée à la télévision et au cinéma, généralement dans un cadre considéré comme « valorisant » par les jeunes (luxe, fêtes, « gangsters », show-biz…).
Largement pourvus en argent de poche par des parents souvent démissionnaires cherchant à compenser matériellement leur absence physique ou affective, les adolescents peuvent alors recourir à la « coke » pour meubler l’ennui trop nourri de leurs soirées, stimuler leur libido déjà blasée et noyer sous les délires hallucinés leur nihilisme et leur absence de perspectives autant que de passions. Cette drogue ?, stimulant les « performances », leur permet également de s’arracher à cette espèce d’introversion angoissée, proche de l’autisme, caractérisant une génération étouffée de technologie et de virtualité qui ne maîtrise désormais que très imparfaitement les modes de communication « directe », ceux ne permettant pas l’usage d’un écran protecteur et rassurant.
Bien informés, les ados connaissent parfaitement les risques et dangers de la cocaïne (même s’ils minimisent généralement, comme tous les toxicomanes, leur « addiction » au produit), mais les effets qu’ils recherchent priment sur la crainte de conséquences toujours considérées comme lointaines.

Des salariés qui se « dopent » comme de vulgaires coureurs du Tour de France

Ce qui frappe le plus dans l’observation de ce mode d’utilisation de la cocaïne, c’est que son caractère prétendument « festif » disparaît assez vite au profit d’une consommation morne et compulsive. Les adolescents et jeunes adultes ne sortent même plus des appartements où ils se réunissent pour « sniffer » et où la drogue devient peu à peu le centre unique d’attention, la seule raison d’être du rassemblement, le sujet exclusif des conversations. Une hiérarchie sordide s’établit alors au sein de la bande de zombies, en fonction des quantités possédées par les uns ou les autres, de la complaisance à laisser les filles « taper » sur ses propres rails ou de la qualité du produit « offert » au groupe.
Souvent, pour remplacer ou compléter les mannes parentales, les jeunes consommateurs de cocaïne n’hésitent pas à « dealer » dans leur entourage des produits généralement coupés pour en améliorer le bénéfice. Ce développement d’un « micro-trafic » de proximité, assez difficilement contrôlable, est également l’un des facteurs du développement drastique de l’usage de la cocaïne en France, ces dernières années.
Dans le monde du travail, l’usage de cocaïne peut revêtir deux principaux aspects. Soit il est la continuité à l’âge adulte de ces pratiques « adolescentes » devenues « addictives », soit il peut être « causé » par l’environnement professionnel lui-même, le travail moderne étant, dans de nombreux secteurs, toujours plus stressant et exigeant en termes d’efficacité et de rendement. L’activité professionnelle travail étant devenue un sport de haut niveau au sein duquel les participants doivent chaque année améliorer leurs performances, les salariés se « dopent » comme de vulgaires coureurs du Tour de France.

L’ère du vide et de la poudre blanche

Selon la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, plus de 10 % des salariés ont ainsi besoin de drogue pour affronter leur travail. Un pourcentage qui ne cesse de croître, notamment du fait de la pression libérale exercée sur les secteurs jadis « protégés ».
Si les professions les plus touchées par la consommation de cocaïne sont celles des banques, des transports routiers, du BTP, de la restauration et du monde médical, les services publics en cours de privatisation sont également de plus en plus exposés. Ainsi les services médicaux de toxicologie traitent-ils par exemple un nombre croissant de salariés de la Poste, établissement qui cherche à offrir toujours davantage de services avec de moins en moins de personnel, les guichetiers récoltant alors le mécontentement et parfois la violence, verbale ou physique, des usagers mécontents.
Qu’il soit dit « festif » ou « productiviste », l’usage exponentiel de cocaïne est indéniablement un nouveau symptôme de ce « désir de mort » qui semble caractériser notre modernité occidentale subclaquante.
Ajoutant la fuite en avant chimique à l’échappatoire virtuelle, nos contemporains cherchent à s’extraire le plus totalement possible d’une réalité devenue insupportable à force de désenchantement et de désacralisation. Pour meubler l’attente du tombeau, ils tentent donc, hagards et épuisés, de trouver dans les stimuli artificiels de la poudre blanche et de ses avatars quelques lueurs perçant encore la désespérante obscurité d’un quotidien qu’ils n’ont plus la foi ni la force de vouloir révolutionner.   


Xavier Eman (Le Choc du mois, février 2011)

1 - Le Code du travail interdit les prélèvements urinaires ou sanguins  en entreprise pour détecter d’éventuelles traces de drogues, en dehors des postes dits « de sécurité ».

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