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antoine savaier

  • Un Kulturkampf pour la droite ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Antoine Savatier, cueilli sur Polémia et consacré à la nécessité pour la droite de mener un combat culturel... L'auteur est juriste et engagé dans la politique locale...

     

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    Pour un gramscisme de droite

    La confusion règne dans l’offre politique actuelle. Les différents partis classés à droite de l’échiquier politique sont empêtrés dans des conflits internes qui recoupent, de manière évidente, des contradictions doctrinales. La droite politique est idéologiquement déboussolée, au point d’en oublier ce qui la distingue fondamentalement du camp adverse. « Quand on me demande si la coupure entre gauche et droite a encore un sens, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est que l’homme qui pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche ! » remarquait Alain.

    En effet, nul au sein de ce camp politique ne semble plus très bien comprendre à quelle vision de l’homme et à quelle philosophie sociale renvoient ces points cardinaux de « gauche » et de « droite ».

    Les amalgames historiques ne facilitent pas les choses : Le libéralisme, né à gauche au XIXe, passé à droite au XXe siècle, revient aujourd’hui dans son camp d’origine. Le combat social, mené historiquement, aussi bien par la droite réactionnaire que par la gauche radicale, est supposé être l’apanage exclusif de la gauche. Par ailleurs, l’usurpation du qualificatif « de droite » par certains membres du personnel politique qui mènent des politiques authentiquement « de gauche », ou son rejet par d’autres qui défendent nonobstant certaines idées parfaitement « de droite », ne fait qu’aggraver cette confusion générale.

    Pourquoi cette difficulté chez la droite à s’assumer ? A quelques exceptions notables, la médiocrité culturelle des représentants de la droite politique est affligeante, autant par leur méconnaissance des humanités que par la petitesse de leurs statures. Depuis un demi-siècle, aucun événement historique digne de ce nom n’a pu forger de caractère illustre. N’ayant guère connu pour leur pays, depuis leur naissance, que la paix et la prospérité, les cadres des partis de droite ont troqué la grandeur et le panache contre la gouvernance technocratique (croissance et Triple A semblent être devenus les moteurs de leur action) et le suivisme culturel (accueil des migrants, progressisme sociétal, etc.). Si, d’aventure, la droite parlementaire se pique de quelques propositions sécuritaires par-ci par-là, celles-ci sont davantage motivées par un esprit comptable et individualiste – garantir la propriété des biens pour jouir sans entraves – que par une vraie vision anthropologique, dont le bien commun serait la finalité.

    En bref, la droite politique rechigne à endosser la doctrine et les symboles qui devraient être les outils de son combat. La gauche, quant à elle, assume fièrement son idéologie. Elle a eu l’intelligence stratégique de s’approprier, depuis Mai-68, tous les leviers du savoir et de la culture. L’hégémonie culturelle étant le préalable à toute victoire politique, elle n’a cessé dès lors de remporter ses combats les uns à la suite les autres. Son rayonnement a été si grand que la droite, faute de substrat idéologique, s’est elle-même laissé contaminer par l’idéologie de la bienpensance. Ainsi, il apparaît de plus en plus clair que c’est l’incurie culturelle de la droite qui est la cause de son insuccès politique.

    Échecs politiques et droimmitude

    Qu’on se le dise, depuis la Révolution française, le bilan politique global de la droite n’est guère éclatant. En 1815, après l’épopée napoléonienne, Louis XVIII s’assoit sur le trône. Embarrassé par les ultras qui se veulent « plus royalistes que le roi », le pragmatique souverain confie au duc de Richelieu la mission de renvoyer la très droitière chambre introuvable. La Restauration tourne au fiasco ; ce régime qui désirait « renouer la chaîne des temps » succombe en 1830, en conséquence de l’excès réactionnaire de Charles X. La Monarchie de juillet et le Second Empire décident de gouverner au centre, marginalisant de facto les représentants de la droite. Les débuts de la IIIe République rallument l’espoir monarchiste. Mais la médiocrité politique de Mac Mahon et l’idéalisme intransigeant du comte de Chambord ruinent de façon définitive le projet d’une ultime restauration. La sacralité des Bourbons est perdue. En 1889, la droite se trouve un nouveau cador avec le général Boulanger. Dans un style populiste, le militaire fait la synthèse du nationalisme et du socialisme. Mais, très vite, l’aventure boulangiste tourne au vinaigre, sur fond de scandales et de conflits internes. En 1924, les querelles intestines du bloc national (alliance entre libéraux, conservateurs et réactionnaires) entraînent dans les abîmes la chambre « bleu horizon ». Le cartel des gauches remporte la majorité, et plus jamais la France ne connaîtra d’assemblée aussi marquée à droite. L’appel au ralliement de Léon XIII (1892), la mise à l’Index des œuvres de Maurras (1926), enfin, l’excommunication des adhérents de l’Action française (1927), aggravent la déroute d’une famille de pensée dont la majorité des membres sont catholiques, et qui se trouvent privés, dès lors, de l’appui de Rome dans leur combat pour le trône et pour la nation. La dissolution des Ligues en 1936 libère un espace pour le Parti Social Français (PSF), premier parti de droite nationale « de masse » (quasiment 1 million d’adhérents), conservateur, antiparlementariste et d’inspiration catholique-sociale, porté par la figure du colonel de La Rocque. Le PSF voit son envolée électorale brisée par la défaite de juin 1940. Sous l’Occupation, la plupart des premiers résistants sont issus de la droite nationaliste, mais le régime de Vichy s’approprie hypocritement (1) les thématiques traditionnelles de cette famille d’idées (culte du chef, natalisme, retour à la terre, etc.), et des thèmes transversaux tirés de l’œuvre des anticonformistes des années 1930 ; entraînant ainsi la droite dans son discrédit.

    En 1945, la Libération consacre le mythe d’une « gauche Résistante ». L’idéologie progressiste, incarnée par le PCF, la SFIO et le MRP, assimile toute conviction de droite au pétainisme. C’est l’avènement de la pensée unique. La gauche intellectuelle entreprend son œuvre idéologique : elle professe que « tous les anticommunistes sont des chiens », écrit des poèmes à la gloire de Staline, soutient la décolonisation et les massacres du FLN. Les soldats de l’armée française, puis les membres de l’OAS qui se sacrifient dans un combat désespéré pour la « mission civilisatrice de la France » et l’intégrité du territoire, sont voués aux gémonies par l’intelligentsia parisienne. Bientôt, les faiseurs d’opinion saluent les combats de Fidel Castro et la révolution culturelle maoïste. En mai 1968, ils proclament qu’il est interdit d’interdire. En 1981, dans l’emblématique L’Idéologie française, BHL fulmine la « France moisie », et ce peuple français de souche « collabo » à « l’esprit étriqué ». La génération Mitterrand réalise cette hégémonie culturelle de la gauche, portée sur les fonts baptismaux de la French theorie (Foucault, Deleuze) et de l’idéologie de marché (Hayek, Friedman) : dérégulation de l’économie, construction européenne, immigrationnisme, antiracisme, et bougisme sociétal. Pendant ce temps-là, la droite politique est à la ramasse.

    En clair, il faut admettre que l’histoire politique de la droite est une inexorable litanie d’échecs (2) et de vexations. D’où cette névrose chez une famille de pensée qui a fini par intérioriser sa propre illégitimité, quitte à se laisser coloniser par les idées de gauche. En effet, depuis un demi-siècle la droite a pris l’habitude d’adopter les modes idéologiques – économisme, droit-de-l’hommisme, idéologie du progrès – qui ont historiquement affaibli toutes ses défenses immunitaires. C’est le fameux sinistrisme analysé par Thibaudet. Depuis quarante ans, les représentants de la « droiche », reconduits aux affaires par le biais du vote utile, s’évertuent à produire la loi Veil, le regroupement familial, les lois liberticides Pleven et Lelouch, la loi Rothschild-Pompidou, ou le Traité de Lisbonne, sans jamais remettre en cause les pseudo-acquis déconstructeurs du parti « du progrès », qu’ils intègrent si bien qu’ils finissent par les trouver désirables. C’est l’effet cliquet, qui permet de passer d’un cran à l’autre, dans un processus non-rétrogradable (3). Quel ténor de la droite parlementaire, qui a battu le pavé pour « sauver l’institution familiale » en 1999, oserait aujourd’hui remettre le PACS en question ? Laurent Wauquiez, le cador de la droite étiquetée « dure », qui n’a pas loupé une Manif pour tous, a déjà retourné sa parka rouge sur le mariage gay, et prépare, de façon sûre, d’autres prévisibles revirements.

    La droite a renoncé à produire sa propre vision du monde

    Depuis Mai-68, la droite s’est focalisée sur l’économie, et la gauche sur la culture. Jacques Julliard définit ainsi le Yalta culturel de la politique française : « A gauche le libéralisme moral et la réglementation économique, à droite la réglementation morale et le libéralisme économique ». Pour la droite, ce choix constitue un double écueil :

    – d’une part, elle s’est laissée subjuguée par l’idéologie du marché, pourtant contraire à sa vision anthropologique (4). Dans son schéma l’homo œconomicus a pris la relève historique de l’homo politicus, disqualifié pour manque d’appétit consumériste. La droite des valeurs s’est fait avaler par la droite des affaires. Mauvais business, car le marché finit toujours par imposer sa logique individualisante, donc à terme libertaire, à la société ;

    – d’autre part, elle a laissé à la gauche l’entière maîtrise du champ culturel. La littérature, la presse, l’université, le milieu artistique, etc., le gauchisme a pénétré tous les vecteurs de l’idéologie et de la culture. La droite authentique, ou ce qu’il en reste, y est ultra-marginalisée. Le camp du Bien s’est institué en pouvoir total, gardien de la parole autorisée, et fascisant tout ce qui ne correspond pas à sa vision du monde. A quelques exceptions notables, même la vraie droite semble terrorisée rien qu’à l’idée d’être traitée de « réac », de « facho » ou de « faire le jeu du FN ».

    Elle a fini par croire que, pour faire passer son message, elle a l’obligation de se soumettre aux critères de respectabilité idéologique de la gauche. Or, qu’elle se proclame humaniste, partisane du progrès, qu’elle multiplie sans relâche les génuflexions face au dogme libéral-progressiste, elle ne sera pour autant, jamais, au grand jamais, admise au sein du cercle de la raison (5), tant la gauche est persuadée de la supériorité morale de sa cause ; et du caractère délictueux de toute idée qui ne vient pas d’elle-même. Ainsi raisonne-t-on à gauche, où l’extrême droite commence à partir de François Bayrou. Il serait temps de l’admettre et d’en tirer les conséquences.

    L’épuisement culturel de la gauche

    Si la domination culturelle de la gauche est toujours palpable, elle est en passe de changer de camp. La marche des idées s’est inversée. Depuis la chute du Mur de Berlin, divers facteurs : mondialisation incontrôlée, paupérisation de la classe moyenne, relativisme des mœurs, réveil brutal de l’islam, etc., ont largement contribué à discréditer la mythologie du progrès et de l’émancipation individuelle. La production des idées à gauche a cessé dans ses deux versions historiques : sociale et libérale.

    Pour ce qui est de la gauche sociale, ses diverses tendances – anarchisme, trotskisme, communisme – datent, au mieux, du milieu du XXe siècle, souvent de la fin du XIXe. Le PC, encore à 15% dans les années 1980, réalise aujourd’hui moins de 3% des suffrages. Son électorat a en partie migré au FN. On continue, bon an mal an, de chanter l’International et de hisser le drapeau rouge à la Fête de l’Huma, mais tout ce charmant folklore dégage un parfum de naphtaline. Le PS, auquel Benoît Hamon a redonné une orientation sociale durant la campagne de 2017, n’est plus qu’un astre mort et doit vendre son siège de la rue de Solférino. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, réalise encore quelques succès électoraux, mais qui sont dus davantage à son charisme personnel qu’à ses idées – Etat dirigiste, collectivisme, lutte antifasciste – tout droit sorties des grandes heures de la IVe République. Les syndicats éprouvent un certain mal à mobiliser les travailleurs pour les manifestations anti-loi travail. C’est pire encore en ce qui concerne les mouvements d’ultragauche et altermondialistes qui, par leur attitude, laissent deviner combien ils sont aux abois : la violence aveugle des groupuscules antifas le dispute à la vacuité des fumeurs de pétards de chez Nuits Debout.

    Dans sa version libérale, la gauche s’est en partie recyclée par le biais de Macron, dont le succès électoral est relatif : seuls 43% de l’ensemble des électeurs ont voté pour l’ex-banquier de Rothschild. A part quelques postures gaulliennes, qui durent le temps d’un selfie, on ne croit guère le macronisme capable de produire une nouvelle donne culturelle qui soit différente de celle du capitalisme, de l’intégration européenne, de l’immigrationnisme, dans la droite lignée de toutes les présidences françaises depuis Giscard ; le charme goldenboy, et la dimension high tech en plus. En bref, rien de philosophiquement révolutionnaire.

    S’agissant des luttes sociétales « émancipatrices » qui sont assumées de façon plus ou moins cohérente par les deux gauches, tels la libération sexuelle, la théorie du genre ou le pédagogisme, elles proviennent toutes de la contreculture des sixties et des seventies. S’il est vrai qu’elles sont toujours défendues aujourd’hui, bec et ongles, par certains membres de la classe politique, on sent bien qu’elles ont épuisé le cycle de leur virtuosité. Il y a comme une redondance, une fatigue chez cette gauche militante, à faire admettre les fumisteries du gender et de l’éducation positive à des populations, notamment immigrées arabo-musulmanes, qui n’ont pas l’air excessivement enthousiastes.

    Cette gauche culturelle, habituée depuis l’ère mitterrandienne à fréquenter les lieux du pouvoir, est définitivement sortie du jeu durant les pitoyables années du hollandisme. Elle s’est découverte sans doctrines, ni chefs, ni militants. Elle qui se célébrait comme gardienne de l’intelligence, patronne des vertus citoyennes, porteuse d’un avenir radieux, elle qui se glorifiait d’attirer des Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Yves Montand, doit reconnaître qu’elle ne rayonne plus comme avant. Seuls des Jacques Attali, Jamel Debouze et Benjamin Biolay peuvent encore prétendre au titre de compagnons de route du déclinant « parti de l’intelligence ». Pour la gauche, le bon vieux temps du confort intellectuel et moral n’est plus.

    Gagner la bataille des idées

    Le déclin de la domination culturelle de la gauche offre à la droite l’occasion de réinventer son substrat idéologique à partir d’une philosophie de l’enracinement. Beaucoup d’intellectuels, parfois issus de la gauche, ont développé certaines idées volontiers endossées par la droite : Alain Finkielkraut sur la crise identitaire, Régis Debray sur la problématique des frontières, Michel Onfray et sa critique de la modernité, etc. Pour autant, les appareils politiques se sont révélés inaptes à décliner ce travail intellectuel sur le plan électoral. Durant la campagne de 2017, « la droite et l’extrême droite n’ont pas réussi à produire d’idées nouvelles, se contentant de se reposer sur des acquis idéologiques engrangés dans le passé », analyse Gaël Brustier (6). Or, une majorité de Français (56% selon un sondage IFOP) s’affirment aujourd’hui de droite et s’accordent visiblement sur les thèmes essentiels : immigration, sécurité, TPE-PME, liberté éducative, etc. Ce peuple de droite, bien que sociologiquement divisé, a donc une réelle consistance. Comment lui donner une forme politique ?

    Pour former une véritable alternative de droite, il faut d’abord gagner la plus élémentaire des batailles : celle des idées. Tant qu’elles ne seront pas dominantes et bien articulées dans les têtes, elles ne seront pas gagnantes dans les urnes. La droite doit penser une stratégie culturelle, un « gramscisme de droite », du nom de ce marxiste italien qui a théorisé la notion d’ « hégémonie culturelle », l’objectif étant de réunir la société politique et la société civile autour d’un projet cohérent. Dans Le Marxisme de Marx, Raymond Aron explique que la puissance politique de l’œuvre de l’auteur de Das Kapital est de pouvoir être expliquée en « cinq minutes, en cinq heures, en cinq ans ou en un demi-siècle ». La doctrine sophistiquée du marxisme a imprégné les mentalités de façon quasi religieuse, aussi bien dans sa version originelle socialiste (la lutte de la bourgeoisie contre le prolétariat) que dans son prolongement culturel contemporain, à savoir la lutte identitaire de tous les autoproclamant « dominé-e-s », quels qu’ils soient (femmes, homosexuels, migrants, etc.) contre tous les pseudo- « dominants » (patriarcat, hétérosexuels, peuple du pays d’accueil). A la façon du marxisme, il faut se donner les moyens d’édifier un corpus idéologique de droite, clair, efficace, fondé sur une vision du monde solidement charpentée. Il faut mener la guerre des mots, des symboles, des grands mythes mobilisateurs.

    La présidentielle de 2007 fut une étape décisive. Sous l’influence de Patrick Buisson, le candidat Sarkozy assuma un positionnement droitier. Pour n’avoir pas lu Gramsci, Nicolas Sarkozy n’en saisit pas moins quelques rudimentaires ressorts lui permettant, dans un contexte d’appauvrissement du débat public, de réorganiser à son profit tout un univers symbolique. « Renverser l’héritage de Mai-68, rétablir l’autorité du prof, défendre l’identité nationale, etc. » furent les promesses inattendues du candidat UMP, au grand désespoir de nombreux cadres de ce mouvement qui désiraient mener campagne au centre. Démarche purement électoraliste, on le sait, car jamais ces paroles ne furent traduites en actions. Cela étant, la gauche fut horrifiée de se voir imposer ces nauséabondes thématiques. Comme le remarque Patrick Buisson, ce viol salutaire de l’idéologie bienpensante fut l’étincelle originelle, qui aboutit plus tard, en 2013, à la Manif pour Tous. La loi Taubira fut, en effet, le détonateur d’un grand mouvement social conservateur, qui draina plus d’un million de personnes dans la rue, et suscita tout un ensemble d’actions militantes (Les Veilleurs, Les Antigone, les Hommens, etc.) portées par des jeunes maîtrisant les codes de la communication. Le texte est passé. Jean-Christophe Cambadélis reconnut toutefois que, dans une perspective gramscienne, on peut parler d’une « défaite culturelle pour la gauche », qui semble avoir perdu le monopole des mouvements contestataires.

    C’est bien à droite que se déroule l’agitation des idées. Les essais politiques majeurs de ces dernières années, signés Patrick Buisson, Eric Zemmour ou Philippe de Villiers, démontrent en quoi la submersion migratoire et le fondamentalisme de la modernité déstabilisent nos cadres de vie traditionnels, au point de menacer l’existence même de la France comme nation historique. Les progressistes n’ont plus le monopole de la pensée critique. Par ailleurs, la génération qui a moins de 40 ans est plus désinhibée ; elle ne souffre plus du complexe d’illégitimité de la droite. Le foisonnement des jeunes intellectuels militants – François-Xavier Bellamy, Eugénie Bastié, Alexandre Devecchio, Julien Rochedy ou Charlotte d’Ornellas –, l’émergence de médias alternatifs – la nouvelle revue l’Incorrect à la fois intello et rock’ roll qui assume son ambition d’unir les sensibilités de droite, la revue Limites reprenant pied sur le terrain de l’écologie, la revue d’idées Eléments, TV Libertés, Fréquence Orage d’Acier – ou encore des initiatives dédiées à l’activisme, comme Génération Identitaire, et à la formation, telles Academia Christiana, Renaissance catholique, la Fondation Polémia, Acteurs d’Avenir, etc., donnent de nombreuses raisons d’espérer.

    Pour l’heure, il s’agit d’un foisonnement encore très parisien, assez intello, plus ou moins distant de la réalité d’une majorité de Français. Pour s’imposer, cette doctrine devra s’adapter aux enjeux contemporains, notamment écologiques et géopolitiques, et ne pas s’arc-bouter exclusivement sur des thématiques morales ou identitaires. Surtout, elle devra prendre la question sociale par les cornes, pour soumettre aux Français défavorisés une alternative crédible, tant au libéralisme qu’au socialisme, à travers une réflexion de fond sur la subsidiarité.

    Cette jeunesse de droite doit enfin se soucier de mettre en adéquation son mode de vie avec ses idées. Il est toujours affligeant d’observer cette bourgeoisie dévote, racontée de façon ironique par la jeune romancière Solange Bied-Charreton (7), qui sort dans la rue pour défendre l’école libre et protester contre la loi Taubira, mais qui, par derrière, vote Macron et pousse ses enfants à s’inscrire dans les grandes écoles de commerce pour s’assurer qu’ils reproduiront bien leur réussite socio-économique. Dans cette démarche visant à fabriquer des winners, certains rejetons de bonnes familles admettent trop facilement la dilution de leurs valeurs. Il faut tuer le droitard qui est en soi. D’autres jeunes qui font le choix de devenir enseignant, artiste, journaliste, pour défendre et transmettre une noble vision du monde, au risque de casser l’ascension sociale de leurs parents, méritent à ce titre d’être salués.

    Cap à tribord donc ! Il s’agit pour la droite de se prendre enfin au sérieux, et de concevoir une stratégie culturelle, un Kulturkampf, dont la finalité serait la conquête effective du pouvoir. Pour ce faire, elle dispose d’abondantes ressources intellectuelles. Il ne tient qu’à elle de transformer l’essai.

    Ambroise Savatier (Polémia,30 octobre 2017)

    Notes :

    1/ Patrick Buisson, 1940-1945, Années érotiques. L’occupation intime, Albin Michel, 2011, 319
    2/ Il serait malhonnête de ne pas citer les quelques victoires de la droite. C’est aux catholiques sociaux, qui s’opposent à la mise en coupe réglée de l’ouvrier par le capitalisme industriel, que l’on doit les premières lois sociales du XXe siècle. Et par ailleurs, sur le plan strictement régalien, le gaullisme redonna sa place à la grandeur nationale, à la continuité et au primat du politique sur l’économie, grâce à l’Etat stratège.
    3/ Yves-Marie Adeline, La Droite impossible : essai sur le clivage droite-gauche en France, Ed. de Chité, 2012, 108 p.
    4/ Il n’y a qu’à voir l’impasse des options économistes durant la campagne de 2017, qui furent celle de François Fillon, avec campagne Triple A, et celle de Marine Le Pen, qui subordonnait la réalisation de tout son projet à la question monétaire. Aucune de ces stratégies économistes n’a convaincu l’électorat.
    5/ En finir avec le complexe médiatique de la droite face à la gauche
    6/ Gaël Brustier : « Macron est l’intellectuel organique du nouveau capitalisme »
    7/ Solange Bied-Charreton, Les visages pâles, Stock, 2016, 392 p.

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