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christophe guilluy - Page 6

  • La"société ouverte", c'est l’autre nom de la "loi du marché"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le géographe Christophe Guilluy à Atlantico à l'occasion de la sortie de son nouvel essai Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016). L'auteur nous livre une description lucide d'une France déjà largement communautarisée et dont la classe moyenne a explosé sous les coups de la mondialisation...

     

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    Christophe Guilluy : "Le paradoxe, c'est qu'aujourd'hui ce sont les pauvres qui vont demander la fin de l'État-Providence"

    Atlantico : Dans votre dernier livre Le crépuscule de la France d'en haut, vous dressez un premier constat insistant sur la fracture entre un discours politique évoquant les classes moyennes alors que celles-ci seraient en voie de transformation vers une classe populaire. Quelle différence faites-vous entre une représentation politique et la réalité du terrain ?

    Christophe Guilluy : Oui, c’est paradoxal alors même que nous sommes au temps de "la sortie de la classe" moyenne des petites catégories salariées. La classe politique dans son ensemble, droite et gauche confondues, est l'héritière des Trente Glorieuses. Leur représentation du pays, c'est la France de Giscard. Avec deux Français sur trois qui sont des classes moyennes qui ne s'en sortent pas trop mal, et qui sont encore dans une phase où l'on peut imaginer que leurs enfants vont s'en sortir. C'est l'idée d'une classe moyenne majoritaire.

    Et d'ailleurs, ces partis ont été conçus pour cela, ils s'adressent toujours aux classes moyennes.

    Mais le paradoxe est que les sociologues nous expliquent depuis 20 ans que la classe moyenne a implosé, qu'elle s'est émiettée, divisée. Il y a une classe moyenne inférieure, supérieure, il y a même une classe moyenne "inférieure-inférieure". Ce que les politiques ne comprennent pas, c'est qu'un concept peut être pertinent à un instant T et être totalement inopérant quelques années plus tard, ce qui est le cas avec le concept de classe moyenne. Il ne dit plus rien. Je me suis donc posé la question de savoir pourquoi la classe politique continuait d'utiliser un concept qui n'existe plus.

    Il y a d'abord un intérêt politique, qui est de laisser entendre qu'il existe encore une classe moyenne majoritaire. Cela signifie que le système économique qui a été choisi profite à la majorité. C'est une façon de réaffirmer une France qui serait intégrée socialement, économiquement, même si, par ailleurs, il peut y avoir des problèmes. Et ce "par ailleurs" correspond aux banlieues, où vivent des populations qui ont des "problèmes", où il y a des émeutes, des exclus, etc. Mais ce "eux" n'est pas "nous". Parce qu'il y a ici une impossibilité de penser la classe moyenne autrement que comme une classe moyenne blanche.

    Le second intérêt ici, pour les classes supérieures, c'est de s'identifier aux classes moyennes. Ce qui est génial, c'est de se laisser croire que finalement on fait partie de "la moyenne",  comme l'ouvrier ou l'employé, c’est-à-dire comme ceux qui ont véritablement subi une baisse de niveau de vie, une vraie précarisation, un vrai descenseur social. Ce brouillage social est accentué par le fait que ces classes supérieures tiennent en même temps un discours critiquent sur "les riches". Elles portent pourtant et cautionnent le modèle mondialisé de ces élites en tenant le discours de la société ouverte. Le problème est que "la société ouverte" est l’autre nom de la "loi du marché". Une loi du marché qui bénéficie effectivement prioritairement aux riches et aux détenteurs du capital mais aussi à ces classes supérieures qui, actuellement, se constituent notamment des patrimoines dignes des hôtels particuliers du XIXe. Mais aujourd'hui, cette bourgeoisie n'est plus identifiée comme telle. D’où mon utilisation du mot "bobo", qui m'a été reprochée. Si cette catégorie ne constitue qu’une fraction des couches supérieures (dont le point commun est de soutenir le modèle mondialisé, elles peuvent donc être de gauche ou de droite), elle permet de sortir du brouillage de classe en utilisant le mot "bourgeois". Ces gens sont arrivés dans des quartiers populaires, là où vivaient des catégories modestes (anciens ouvriers, actifs immigrés…), dont les revenus, le capital culturel, n’ont rien à voir avec ces classes supérieures. Cette nouvelle bourgeosie n’est pas "riche", elle ne détient souvent pas le "capital", mais il faut les désigner pour ce qu'ils sont : des bourgeois. Ces gens sont très sympas, cools etc., mais ils représentent une catégorie sociale qui n'a strictement rien à voir avec ce qu'étaient hier les classes populaires qui occupaient ces territoires. Il ne faut pas non plus oublier la violence sociale de cet accaparement de biens qui étaient anciennement ceux de ces catégories populaires.

    L'idée a été de connecter cela avec une vision globale des effets de mondialisation sur le territoire. Et attention, il n'y a pas de complot : il s'agit simplement du résultat du "laissez-faire" du marché. Le marché de l'emploi dans les grandes métropoles est totalement polarisé. Les emplois des anciennes classes moyennes ont alors progressivement disparu. Le marché des métropoles n'a pas besoin de ces gens. Le résultat est qu'aujourd'hui, 66% des classes populaires ne vivent plus dans les 15 premières métropoles.

    Un sondage IFOP pour Atlantico publié le 4 septembre indiquait que 75% des Français considéraient que le terme "républicain" ne les touchait plus, ce terme ayant perdu son sens. Votre constat insiste également sur la notion de "séparatisme républicain", indiquant que la société française serait en voie d’américanisation, par l'acceptation "banale" du multiculturalisme. Ici encore, considérez-vous que le discours "républicain" actuel soit en retard ? 

    Je parle de fanfare républicaine. La grosse caisse. L'absurdité de ce débat est de penser que nous, en France, parce que nous sommes plus malins que les autres, nous allions entrer dans le système mondialisé, mais en gardant la République. Sauf que nous ne pouvons pas avoir le système mondialisé sans en avoir les conséquences sociétales. Il faut choisir. Soit nous gardions un système autarcique, protectionniste, fermé, etc., soit on choisit la société ouverte et ses conséquences, c’est-à-dire le multiculturalisme.

    Il suffit d'aller cinq minutes dans un collège pour voir comment les enfants se définissent : blanc, noir, musulman, juif, tout sauf "je ne reconnais aucune origine". Même si nous avons pu connaître cela au début de l'immigration maghrébine. Mais cela a basculé à la fin des années 1980, et maintenant, on y est. Et le discours consistant à vouloir revenir à l'assimilationniste républicain n'a pas de sens. C'était un très beau système mais que fait-on ? On demande aux filles d'enlever leurs voiles, aux juifs d'enlever leurs kippas, etc. ? Oui, mais ça s'appelle une dictature. Attention, je ne dis pas qu'il y a eu acceptation, parce que personne n'a voulu une société multiculturelle, et certainement pas les milieux populaires (quelles que soient leurs origines). Ce modèle n'a pas été voulu en tant que tel, ce n'est que la conséquence de l'ouverture. La société française est devenue une société américaine comme les autres. Il suffit de regarder les méthodes de gestion des minorités : quelle différence entre le Royaume-Uni et la France ? Un jeune Pakistanais à Londres a à peu près le même ressenti qu'un jeune maghrébin en France, un jeune Noir de Bristol par rapport à un jeune Noir de Villiers-le-Bel.

    Le problème ici, c'est la différence entre le multiculturalisme à 10 000 euros et le multiculturalisme à 1 000 euros. À 1 000 euros, les choix résidentiels et scolaires sont de 0. Ce qui veut dire cohabitation totale. Si vous habitez dans un pavillon bas de gamme au fin fond de l'Oise et que la cohabitation est difficile avec les familles tchétchènes installées à côté de chez vous, vous ne pouvez pas déménager. En revanche, le bobo de l’Est parisien qui s'achète un loft s’assure grâce au marché de son voisinage et, au pire, peut toujours déménager ou déscolariser ses enfants si cela se passe mal. C'est la seule différence. Parce que pour toutes ces questions, et contrairement à ce que laisse entendre la doxa médiatique, nous sommes tous pareils. En haut, en bas, toutes les catégories sociales, quelles que soient les origines... Ce qui change, c'est le discours d'habillage. Le "je suis pour la société ouverte" ne se traduit pas dans la réalité. La norme, c’est l’érection de frontières invisibles dans les espaces multiculturels ou le séparatisme car personne ne veut être minoritaire.

    La société multiculturelle est une société avec des tensions réelles et une paranoïa identitaire pour tout le monde. Les blancs pensent que les musulmans vont prendre le terrain, les maghrébins pensent que les Français sont racistes, les Noirs considèrent que les Arabes leur en veulent, les Juifs sont dans une relation conflictuelle avec les musulmans.

    Aujourd'hui, c'est la tension avec l'islam qui monopolise le débat, en raison de la présence d'une importante communauté en France, (et en extension) mais également en raison du réveil de l'islam dans le monde musulman. Nous sommes sur une logique démographique avec un islam qui prend de plus en plus de place. Dans une telle configuration, si une partie de la communauté se radicalise, elle devient de fait beaucoup plus visible.

    En réalité, sur ces questions il n’y a pas "les bons" et "les méchants" : nous sommes face à des comportements universels. Il est possible de faire comprendre à l'autre que ce qui se passe aujourd'hui avec le FN est d'une banalité extrême. En expliquant que ce qui se passe, c'est que le vote FN est un vote de "blédard", d’attachement à son "village", d’une volonté banale de ne pas devenir minoritaire, surtout pour les catégories populaires, quelles que soient leurs origines, qui n’ont pas les moyens d’ériger des frontières invisibles. C’est vrai en France, mais aussi en Algérie, au Sénégal ou en Chine : ces ressorts sont universels. Tout le monde peut le comprendre. Nous sommes dans cette complexité du monde multiculturel, que nous n'avons pas choisi. Quand je dis "nous", les falsificateurs laissent entendre qu’il s’agit d’un comportement de "petit blanc". C’est faux, cette perception est commune à tous les individus quelles que soient leurs origines. Les musulmans ne sont pas plus partisans de la société multiculturelle que les Juifs, les Chinois, les Français blancs ou les Noirs. Ils la pratiquent mais sans l’avoir choisie. Cette société idéalisée par la classe dominante, elle est ce qu'elle est, avec sa dose de séparatisme. Ce qui pose la question du séparatisme, qui n'est pas une hypothèse mais une réalité. Et cette société-là, c'est la société américaine. La France est aujourd'hui le pays d'Europe qui la plus grande communauté maghrébine, la plus grande communauté juive, et la plus grande communauté noire. Le multiculturalisme, nous y sommes, malgré la fanfare républicaine qui joue encore. Aujourd'hui, c'est la question de l'islam qui est posée, mais demain, compte tenu des flux migratoires qui ont lieu aujourd'hui et de la croissance démographique en Afrique, c'est la question de l'identité noire qui se posera.

    Vous évoquez l'idée d'une "société populaire" en rupture avec un discours dominant, formant ce que l'on pourrait appeler une société parallèle. Quels en sont les contours ? Qui sont les membres de cette société populaire ? A l'inverse, comment évoquer cette "France d’en haut" électoralement parlant ?

    Électoralement parlant, cette France d’en haut, structurellement minoritaire, pèse beaucoup sur les grands partis. Mais ce qui est intéressant, c'est la désaffiliation des nouvelles classes populaires de leurs alliances traditionnelles. L'ouvrier qui votait à gauche, le paysan qui votait à droite : tout cela, c'est fini. C'est soit l'abstention, soit le vote FN pour les catégories populaires d’origine française ou européenne. Mais ce qui se forme, c'est une nouvelle société ou des gens qui étaient opposés (l'ouvrier, le petit commerçant, l’employé et le paysan, qui se retrouvent pour beaucoup sur ces territoires de la France périphérique) ont une perception commune de la mondialisation.

    C'est ce qui les rapproche. Ce sont ces catégories qui vont vers le parti de sortie de la classe moyenne, le FN. Il n'y a pas de conscience de classe, mais ces gens pensent à peu près la même chose du sort qu'on leur a fait avec la mondialisation, mais également des effets de la métropolisation. Ces populations sont sédentaires, elles n'ont plus les moyens de partir, elles doivent s'ancrer sur le territoire, dans des zones peu dynamiques en termes de création d’emplois privés dans un contexte de raréfaction de l’argent public. De plus, ces territoires ont beaucoup vécu de redistribution, de l'investissement public, de la création de postes dans le secteur public. Mais tout cela est terminé. La manne publique a disparu. Et ce n'est pas parce que les gens ont Internet qu'ils sont à New York, ce discours est une arnaque. Le Cantal et Manhattan, ce n'est pas la même chose. Le réseau, ce n'est pas Internet, ce qui compte c'est de rencontrer des gens, être physiquement en face de quelqu'un avec qui on décide de faire des choses, comme le font les cadres supérieurs dans les métropoles. La mobilité n'est plus une mobilité pour tous, elle concerne prioritairement les catégories supérieures, ce qui implique une nouvelle forme de sédentarisation des catégories populaires.

    Dans un livre publié en 2006 (Combattre les inégalités et la pauvreté. Les États-Unis face à l'Europe), le directeur de la recherche économique de Harvard, Alberto Alesina, et son collège Edward Glaeser montrent "la relation fondamentale entre fragmentation raciale et dépenses sociales en pourcentage de PIB", indiquant que plus un pays est fragmenté "racialement", moins les dépenses sociales sont élevées. La France périphérique peut-elle participer à de telles décisions ?

    C'est également la thèse de Robert Putnam, qui a analysé les grandes villes, et qui a démontré le même phénomène. Il se posait la question de savoir pourquoi les politiques sociales étaient plus faibles dans les grandes villes. Et effectivement, le résultat était que les gens ne veulent pas payer pour les pauvres d'une autre communauté. C'est toute l'ambiguïté du rapport actuel à l'État-Providence qui se traduit dans la parole politique. Il existe un discours radical actuellement sur cette question, qui consiste à dire que l'on donne trop d'argent aux chômeurs, aux assistés, etc. Et ce, sans poser la question culturelle qui se cache pourtant derrière. C'est exactement ce qui se passe en France.

    Ce qui est amusant, c'est que les libéraux pensent que les Français sont gagnés par le libéralisme et qu'ils sont contre l'État-Providence. C’est faux. Mais la situation paradoxale est qu’aujourd’hui ce sont les pauvres qui vont demander la fin de l'État-Providence.   

    Vous avez été attaqué pour votre travail. Quelle est la difficulté de votre discours au sein de l'Université ?

    Oui, des critiques de quelques individus très idéologisés et éloignés des réalités, qui falsifient mon travail, et aussi tout bêtement par des "concurrents". Une histoire de business. Au-delà de ça, ces gens défendent en réalité un modèle, celui des classes dirigeantes, dont ils bénéficient.

    Christophe Guilluy (Atlantico, 19 septembre 2016)



     

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  • Le crépuscule de la France d'en haut...

    Les éditions Flammarion viennent de publier un nouvel essai de Christophe Guilluy intitulé Le crépuscule de la France d'en haut. Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de deux essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010) et La France périphérique (Flammarion, 2014).

     

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    " Le géographe constate que les classes dominantes captent l'essentiel des bienfaits de la mondialisation en imposant un modèle inégalitaire et défendent un discours qui décrit leur réalité mais pas celle des classes populaires. Le discours anti-Front national n'est alors qu'un prétexte et exclut encore un peu plus la France périphérique. "

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  • Cette droite qui prétend défendre la nation mais qui ne se soucie pas du peuple...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la cécité d'une grande partie de la droite face à la question sociale...

     

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    Cette droite qui veut défendre la nation mais qui ne se soucie pas du peuple

    François Hollande a récemment présenté son « plan de la dernière chance » pour lutter contre le chômage. Mais en son temps, François Mitterrand avait déjà dit qu’en ce domaine, « on a tout essayé ». Le chômage de masse serait-il une fatalité ?

    Ce que François Hollande veut faire baisser, ce n’est pas le chômage, mais les chiffres du chômage. D’où son programme de formation des jeunes, qui vise avant tout à dégonfler les statistiques. Pour le reste, alors que la politique libérale de l’offre ne marche manifestement pas et que, sans la dépense publique, la France serait déjà tombée dans la dépression, tout ce qu’il propose, ce sont les recettes libérales habituelles : cadeaux supplémentaires aux entreprises, réduction de l’investissement public, diminution de la protection sociale et des indemnités de chômage, etc. Comme l’écrit Dominique Jamet, « même dans leurs rêves les plus fous, M. Gattaz et le MEDEF, qui le demandaient depuis toujours, n’en espéraient pas tant ».

    Le gouvernement n’a toujours pas compris que les entreprises n’embauchent que lorsqu’elles sont assurées de pouvoir vendre, et qu’elles ne vendent pas quand la politique d’austérité condamne le pouvoir d’achat à stagner ou à diminuer. « Travailler plus pour gagner plus », disait déjà Sarkozy, en oubliant que si on travaille plus, on augmente du même coup la quantité de l’offre de travail. Or, comme en période de chômage la demande est inférieure à l’offre et n’augmente pas, la seule conséquence est l’effondrement du salaire. On reconnaît là l’influence d’Emmanuel Macron, que je considère comme le ministre le plus nocif et le plus dangereux de ce gouvernement – l’« expression politique de la domination bourgeoise », comme dit Patrick Buisson.

    Emmanuel Macron semble pourtant bien vu par une partie de la droite.

    Chez beaucoup de gens de droite, le sens de la justice sociale tient à l’aise sur un confetti. Ils veulent défendre la nation mais se soucient finalement fort peu du peuple. Ils n’ont pas encore compris que le capitalisme est intrinsèquement mondialiste, puisqu’il exige l’abolition des frontières (« Laissez faire, laissez passer » !), qu’en raison de sa propension à l’illimitation il ne peut exister sans révolutionner constamment les rapports sociaux ni voir dans les identités nationales autant d’obstacles à l’expansion du marché globalisé, que le modèle anthropologique dont il est porteur (celui d’un individu fondé à maximiser en permanence son avantage) est à l’œuvre dans le libéralisme économique aussi bien que dans le libéralisme sociétal, et que l’axiomatique de l’intérêt et la machinerie du profit sont les piliers de la dictature des valeurs marchandes.

    À un moment où le vote Front national traduit de plus en plus un « vrai conflit de classe », comme le dit Christophe Guilluy – pour qui « c’est en travaillant sur la question sociale que l’on arrive à la question identitaire » -, à un moment où la majorité des classes populaires ne vivent plus là où se créent la richesse et l’emploi, ce qui n’était jamais arrivé dans l’Histoire, ce sont bien sûr les mêmes qui trouvent que le programme économique du FN est « trop à gauche » ou qui s’enthousiasment pour ce clown pathétique de Donald Trump (l’équivalent américain du Russe Jirinovski), qui pense que le fait de « savoir faire de l’argent » suffit à le qualifier pour diriger les États-Unis.

    Depuis les années 1990, la désespérance sociale ne cesse de s’étendre : 6,5 millions de personnes inscrites à Pôle emploi, 8,5 millions de pauvres au seuil à 60 % du revenu médian, 6 millions d’abonnés aux minima sociaux, 2,3 millions de foyers bénéficiaires du RSA, 3,8 millions de mal-logés, 3,9 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire, 810.000 sans-domicile, dont 100.000 obligés de dormir dans des caves ou dans la rue…

    Face à ce tournant de l’histoire sociale de notre pays, certains s’obstinent à ne rien voir. Ils comprennent les paysans qui multiplient les actions illégales parce que le monde rural est en train de mourir, ils comprennent les Corses qui vont exercer des représailles contre les exactions des racailles qui ont agressé des pompiers, mais quand huit salariés de l’usine Goodyear d’Amiens sont condamnés à deux ans de prison, dont neuf mois ferme, pour avoir séquestré pendant trente heures deux dirigeants d’une entreprise qui a supprimé 1.100 emplois et fait 800 chômeurs (douze suicides depuis la fermeture) – neuf mois de prison contre trente heures ! -, ils ne cachent pas leur joie de voir ces « voyous » envoyés « au gnouf ». Les Corses et les Bonnets rouges d’accord, mais pas les travailleurs ! Pas un mot, en revanche, sur les voyous en col blanc qui délocalisent à tour de bras et multiplient les « plans sociaux » pour permettre à leurs actionnaires de se goinfrer toujours plus ! Moi qui dois beaucoup à la grande tradition du syndicalisme révolutionnaire (Georges Sorel et Édouard Berth, Émile Puget et Victor Griffuelhes, Arturo Labriola et Filippo Corridoni), cela me soulève le cœur.

    Certes, on peut bien entendu en tenir pour une « droite thatchérienne », comme Éric Brunet, de Valeurs actuelles, ou comme le député de l’Yonne Guillaume Larrivé, porte-parole des Républicains, pour qui le « marinisme » est un « néocommunisme antinational ». Mais cette droite-là, ce sera sans moi.

    Que vous inspire cette récente déclaration de Jean-Luc Mélenchon : « Nous vivons une période d’obscurantisme social. Dans cette cour des miracles qu’est le gouvernement, M. Gattaz joue le chef des capons, ces mendiants d’autrefois qui faisaient les poches dans les lieux publics. Il encaisse les milliards du gouvernement, sans que cela ne réduise en rien le nombre des chômeurs et, dès que les coffres sont pleins, il retend sa sébile. En France, le grand patronat est une classe d’assistés très parasitaire » ?

    Parasites est tout à fait le mot qui convient.

     

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 4 février 2016)

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  • Tour d'horizon... (100)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Infoguerre, on décrypte l'affaire Volkswagen, dernière attaque en date des autorités américaines contre une grande entreprise européenne...

    Les Etats-Unis à l’attaque des fleurons de l’économie européenne: l’exemple Volkswagen

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    - Polémia vous permet de découvrir l'analyse des résultats des élections régionales que le le géographe Christophe Guilluy a donné au Figaro Vox cette semaine...

    Le FN est le baromètre de l’inaction des partis au pouvoir

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  • « La postmodernité, c’est l’excès inverse de la modernité »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Pierre Le Vigan au site Philitt à l'occasion de la parution de son essai Soudain la postmodernité (La Barque d'Or, 2015).

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Chronique des temps modernes (La Barque d'Or, 2014) et L'effacement du politique (La Barque d'Or, 2014).

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    Pierre Le Vigan : « La postmodernité, c’est l’excès inverse de la modernité »

    PHILITT : Vous avez édité cette année, un ouvrage intitulé Soudain la postmodernité (La Barque d’or). D’où vient ce terme, « postmodernité » ?

    Pierre Le Vigan : Je ne connais pas l’origine exacte du terme. Ce qui est certain, c’est que Jean-François Lyotard a beaucoup contribué à diffuser le thème de la postmodernité. La notion de postmodernité désigne ce qui vient après la modernité, donc ce qui vient après le culte du progrès, le culte de l’homogénéité, de l’égalité, du jacobinisme. La postmodernité est ce qui vient après les grands récits historiques, tels le communisme, la social-démocratie, le fascisme, qui n’ont été qu’une brève parenthèse, et d’une manière générale, redisons-le, après la religion du progrès. Il y a bien sûr des éléments de postmodernité dans les temps actuels, mais il y a aussi des éléments qui relèvent en fait de l’intensification de la modernité. Prenons l’exemple de la théorie du genre : en un sens, on peut croire qu’elle valorise les différences entre les sexes en mettant en lumière leur dimension culturelle, en un autre sens, elle les minimise puisque avant d’appartenir à un sexe, nous serions en quelque sorte sans détermination et choisirions « librement » notre genre. Le genre prétendument choisi serait plus important que la sexuation héritée. Sur le fond, en fait, la théorie du genre pousse à l’extrême et jusqu’à l’absurde le constructivisme. Or, le constructivisme est un élément de la modernité. Il est pourtant bien évident que la France déjà moderne des années 1960 était à des années-lumière de la théorie du genre. Tout dépend donc du niveau où l’on situe l’analyse. S’agit-il de l’histoire des idées ? De leur généalogie ? Ou sommes-nous au contraire dans le domaine de la sociologie historique ? Il faut à chaque fois préciser quel est le niveau d’analyse choisi. Ce qui est certain, c’est que, sous couvert d’apologie des différences, nous vivons, comme le voyait déjà Pasolini il y a plus de quarante ans, dans « un monde inexpressif, sans particularismes ni diversités de cultures, un monde parfaitement normalisé et acculturé » (Écrits corsaires).

    Comment définir, ou du moins comment situer, la « postmodernité » par rapport à la « prémodernité » et à la « modernité » ?

    Votre question me permet de préciser un point. J’ai expliqué que la postmodernité était avant tout la fin des grands récits, et surtout du récit du progrès sous ses différentes formes (qui incluaient par exemple le nazisme, qui était un darwinisme social et racial « progressiste » puisqu’il voulait « améliorer la race »). Sous une autre forme, qui amène à en souligner les aspects néfastes, la postmodernité c’est aussi l’excès inverse de la modernité. C’est le présentisme, c’est la jouissance (je n’ai rien contre, mais elle doit avoir sa place, rien que sa place) contre la raison, c’est le laisser-aller (l’esprit « cool ») contre l’effort, c’est l’informe contre la tenue. Voilà la question que pose la postmodernité : si on ne croit plus au progrès, qu’est ce qui nous fait tenir debout ? Nous : je veux dire nous en tant qu’individus, et il faudrait dire en tant que personne humaine, mais aussi nous en tant que peuple. C’est là qu’intervient la référence à la pré-modernité. Si on prend comme exemple de moment de pré-modernité la période du Moyen Âge, avant le culte du progrès, mais aussi avant le culte de l’homme, et en fait avant le culte de la puissance et surpuissance de l’homme, la pré-modernité faisait se tenir debout les hommes par la religion, et en l’occurrence par le christianisme (je parle bien sûr de l’Europe). Cela amène bien sûr à relever qu’il y eut plusieurs pré-modernités, précédant elles-mêmes plusieurs modernités. Les modernités des pays catholiques et des pays protestants n’ont ainsi pas tout à fait été les mêmes.

    Il est certain que la postmodernité ne peut qu’avoir des points communs avec certains aspects de la pré-
    modernité. On pourrait espérer, au lieu du culte du présent, une attention au présent, au lieu d’un enlisement dans le présent, la recherche d’une transcendance dans l’immanence. Le dépassement de la modernité a bien des aspects positifs. Qui peut regretter le nationalisme agressif entre peuples européens qui a mené aux guerres du XXème siècle ? Mais qui peut sérieusement penser que ce dépassement d’un certain nationalisme doive amener à nier tous les enracinements, toutes les mémoires historiques ? Il faut redécouvrir toutes les communautés, dont certaines ont été broyées par un nationalisme (plus exactement un stato-nationalisme) niveleur mais il ne faut pas pour autant se défaire des constructions nationales qui figurent parmi les réalisations les plus belles du politique en Europe. Autant, par exemple, je suis pour l’autonomie de la Catalogne, autant je suis hostile à sa sécession d’avec l’Espagne.

    Vous écrivez que la seule libre-circulation dont ne veut pas le libéralisme, c’est la libre-circulation des idées (p. 32). Comment expliquer que l’actuel triomphe du libéralisme s’accompagne d’un recours étatique à la censure ?

    L’intolérance actuelle du pouvoir, et plus largement du système face à tout ce qui relève de l’indépendance d’esprit et face à tous les propos non consensuels est d’un niveau assez stupéfiant. L’intolérance des hommes du système est, à beaucoup d’égards, proportionnelle à leur inculture. Il y a aussi un formidable formatage des esprits, qui va du plus haut niveau à tous les cadres intermédiaires de la société. Dans les faits, le libéralisme économique se développe sur fond de libéralisme politique. Ce libéralisme politique est une démocratie purement procédurale qui est de moins en moins démocratique. Le peuple ne peut se prononcer sur les sujets importants et, plus encore, quand il se prononce, on ne tient pas compte de son avis. Ce « règne de l’On » est en fait le règne de l’hyperclasse. Cette dernière mène une guerre de classe contre le peuple. En matière de relations internationales, nous sommes face à un système à tuer les peuples, qui s’appuie sur les États-Unis et ses relais, dont malheureusement la France, parfois même à l’avant-garde de l’atlantisme belliciste et déstabilisateur. Au plan intérieur, institutionnel et politique, nous avons un système à tuer le peuple, basé sur le mépris de celui-ci. Ce sont les deux faces d’un même système.

    « L’écologie poussée jusqu’au bout amène inévitablement à deux rejets. Rejet du libre-échangisme économique, rejet de l’immigration de masse » (p. 31). N’est-il pas pourtant en vogue, dans le monde de l’entreprise et au sein de la politique française, de parler d’« écologie », de « développement durable » ?

    Le développement, c’est une façon de dire « toujours plus ». C’est souvent le cache-sexe de la pure et simple course aux profits. Si on souhaite un développement vraiment durable, il y a des choses à ne pas développer, par exemple le développement de l’automobile. C’est la contradiction du terme « développement durable ». Il faut donc demander aux partisans du développement durable ce qu’ils veulent vraiment développer. S’agit-il des systèmes d’échanges locaux ? Nous serons alors d’accord. S’agit-il des biens collectifs qui échappent à la marchandisation ? Très bien. S’agit-il de développer toujours plus de routes qui éventrent les paysages ? Ou de stupides créations d’aéroports inutiles ? Alors non. Faut-il toujours plus de smartphones ? Toujours plus d’informatisation de tous les processus de décision ? Encore non.

    Prenons l’urbanisme comme exemple. Une ville durable, ce n’est pas forcément une ville qui se « développe », ce peut être une ville qui se stabilise, qui améliore ses équilibres. La notion de développement durable est donc ambiguë. Il faut pousser ses partisans dans leurs retranchements et les amener à reconnaître, s’ils sont de bonne foi, qu’il y a des choses à ne pas développer.

    Quant à l’écologie, tout le monde est pour. C’est comme la santé et la bonne humeur : comment ne pas être pour ? Mais, concrètement, les gens qui se réclament de l’écologie sont pour l’immigration de masse. Alors, que se passe-t-il ? L’écologie s’appliquerait aux petits oiseaux, mais pas aux hommes ? (La critique de l’immigration qui est la nôtre ne saurait occulter ce que nous pensons être les responsabilités énormes de l’Occident dans le chaos au Proche-Orient et donc dans les flux migratoires vers l’Europe, et cela a commencé dès la première guerre du Golfe déclenchée après le rattachement de la « 19ème province », le Koweït à l’Irak, un piège, sous beaucoup d’aspects, tendu à l’Irak).

    Revenons à l’immigration, qui n’est qu’un des aspects des équilibres humains, de l’écologie humaine et de l’éthologie humaine. Le respect des équilibres s’appliquerait à la nature mais pas aux hommes, qui pourtant ne cessent d’agir sur la nature ? L’écologisme des « Verts » n’a ainsi guère de rapport avec l’écologie. La thèse du réchauffement climatique anthropique (dû à l’homme) n’est elle-même pas prouvée. L’écologie officielle sert en fait de nouveau totalitarisme et d’instrument de contrôle social renforcé. Il est pourtant parfaitement exact que l’homme détruit ou abîme son propre environnement mais ce ne sont pas les écologistes, le GIEC ou les gouvernements qui « font de l’écologie » une sauce additionnelle à leur prêchi-prêcha culpabilisateur et moralisateur qui aideront à trouver des solutions. Il leur faudrait d’abord rompre avec le culte du progrès et de la croissance, et avec une vision de l’homme qui est fausse car les écologistes ne croient pas qu’il existe des différences entre les peuples : les écologistes, tout comme nos libéraux et socio-libéraux, pensent que les hommes et les peuples sont parfaitement interchangeables.

    Or, avant de vouloir sauver l’homme et la planète, il faudrait commencer par les comprendre. Les écologistes, tout comme nos gouvernements mondialistes, pensent que les hommes sont tous pareils. Leur vision du monde est une vision de touriste. Pourquoi ne peut-on pas s’installer dans n’importe quel pays, de même que quand on part en voyage on regarde le catalogue ou le site adéquat ou autre et on coche la case « soleil », « bain de mer », etc. Croire que les migrations relèvent de la « liberté » est la dernière des imbécillités. Les migrations ont toujours été essentiellement des actes de guerres. Croit-on que les Allemands des Sudètes ont quitté leur pays en 1945 parce que les paysages bavarois sont plus gais, ou que les dancings de Munich sont d’un standing supérieur à ceux de Pilsen ? C’était parce qu’ils avaient le choix entre l’expulsion ou le massacre. Croit-on que les Juifs ont quittés l’Allemagne en 1933 par simple fascination pour l’Amérique ? Ou bien plutôt parce qu’on (les nazis) voulait les réduire à la misère, à l’humiliation, au suicide ou à la déportation ?

    Vous écrivez que vous avez souvent été considéré « comme un homme de gauche par les gens de droite et comme un homme de droite par les gens de gauche » (p. 85). Est-ce là pur esprit de contradiction ou bien assiste-t-on à un effacement du clivage gauche-droite ?

    Esprit gratuit de contradiction : non. Goût de la complexité, oui. « La complexité est une valeur », écrit Massimo Cacciari. J’aime avant tout les nuances. Quant aux contradictions, il peut être fécond de les creuser si elles permettent d’arriver à une synthèse de plus haut niveau. Je crois au juste milieu non comme médiocre moyenne mais comme médiété. C’est ce qu’Aristote appelait : éviter l’excès et le défaut. Telle est la vertu selon Aristote. Ainsi, le courage n’est ni la témérité (l’excès) ni la lâcheté (le défaut). Mais le stagirite expliquait que l’opposé du courage reste néanmoins la lâcheté – et non la témérité.

    Les notions de droite et de gauche n’ont cessé d’évoluer. C’est un clivage qui a toujours été mouvant. Aujourd’hui, ce qui est très clair, c’est que c’est un rideau de fumée. Droite et gauche sont d’accord sur l’essentiel : l’Europe du libre-échange et du dumping social, le partenariat privilégié avec les États-Unis, l’antirussisme primaire, la société de marché, l’idéologie des droits de l’homme contre le droit des peuples et l’immigrationnisme forcené. C’est en fait une fausse droite qui fait face à une fausse gauche. Les deux en sont au degré zéro de la pensée. Fausse droite et fausse gauche partagent la même croyance que l’Occident peut continuer à fabriquer de l’universel seul dans son coin et à l’imposer au reste du monde.

    Tous les intellectuels qui pensent vraiment finissent par se fâcher avec le système politico-médiatique. Alors, celui-ci les exclut au motif de pensées « putrides », d’arrières-pensées encore plus « nauséabondes », d’appartenance à la « France moisie », de « relents de pétainisme », de statut d’ « ennemis de l’avenir » (Laurent Joffrin) et autres anathèmes. Michel Onfray, Jean Claude Michéa, Alain Finkielkraut, Alain de Benoist et d’autres sont mis dans le même sac, ce qui dispense de les lire. Or, ces intellectuels sont très différents. Ils ont comme seul point commun d’essayer de penser vraiment les problèmes même s’ils arrivent à des conclusions qui ne sont pas conformes à l’irénisme dominant : les richesses des cultures qui « se fécondent mutuellement » en se mélangeant, les « bienfaits de la diversité », les vertus d’un « vivre-ensemble » toujours plus épanouissant, le bonheur de la société « inclusive », etc. Michel Onfray est ainsi accusé d’avoir « viré à droite ». Cela ne devrait pas être une accusation mais une hypothèse non infamante en soi, relevons-le. Mais, au demeurant, c’est faux. Michel Onfray a toujours été un libertaire et il n’a pas changé. C’est toujours au nom des mêmes idées qu’il se heurte désormais aux esprits étroits du système, notamment depuis qu’il a relevé les responsabilités de Bernard-Henri Lévy dans le désastre libyen dont l’une des conséquences est le déferlement migratoire. Les propos de Michel Onfray sont dans le droit fil de sa conception du rôle de l’intellectuel, conception qu’il a notamment développée dans son livre sur Albert Camus, mais aussi dans nombre de chapitres de sa Contre-histoire de la philosophie.

    Plutôt qu’une fausse droite et une fausse gauche, j’aimerais voir une vraie droite et une vraie gauche. Mais je crois aussi que les vraies droites sont toujours quelque peu de gauche à leur façon (voir Bernanos), tandis que les vraies gauches sont en un sens aussi de droite (voir Auguste Blanqui ou Georges Sorel).

    Surtout, la vraie question me parait être de sortir de l’abjection anthropologique qu’est la modernité, et sa version récente l’hypermodernité. Le « chacun dans sa bulle », avec son oreillette et son smartphone me parait être un recul formidable de l’humain, la joignabilité tout azimut me parait une horreur. Je dis : abjection des temps modernes. De quoi s’agit-il ? Ce sont les gens qui sont appareillés d’oreillettes dans les transports en commun, qui restent les yeux figés sur leur téléphone cellulaire ou sur leur tablette numérique, ce sont les gens qui filment un drame ou une brutalité sans jamais intervenir, ce sont les gens qui ne proposent jamais à un clochard en perdition de l’aider à se relever, ce sont les gens qui veulent bien être témoin mais à condition de ne rien risquer (« Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger », disait Pascal. On voit que nous en sommes loin). Ce sont les hommes de la société de l’insignifiance. En sweat-shirt du nom d’une compagnie aérienne d’un émirat pétrolier, ou en capuche de survêtement, parlant fort dans les transports en commun pour faire profiter tout le monde de leurs préoccupations égotistes, ils représentent le summum du mauvais goût. C’est le tsunami de l’abjection. Faut-il préciser qu’un Africain en habit traditionnel lisant le Coran ne me fait pas du tout la même impression ? Serait-ce là le dernier refuge de l’humanité ? Ce n’est pas le seul. Reste une évidence : le coefficient de modernité est exactement équivalent au coefficient d’abjection.

    Cette question de la modernité, postmodernité par rapport aux années soixante et soixante-dix, ou simple hypermodernité, est très liée aux nouvelles formes du capitalisme, analysées par exemple fort bien par Pierre Dardot et Christian Laval. Sortir de l’hypermodernité, ce sera nécessairement aussi sortir du turbocapitalisme. Or, le dépassement du capitalisme ne se fera par les droites telles qu’on les connaît, mais se fera encore moins par la gauche actuelle. Celle-ci est devenue l’avant-garde du turbocapitalisme, elle déblaie le terrain, elle détruit les enracinements, les industries et la classe ouvrière. Elle a détruit les ethos (manière d’être au sens de demeure anthropologique) ouvriers. Elle est pour cela plus efficace qu’aucune extrême-droite n’aurait pu l’être. L’hypermodernité a permis de comprendre ce qu’était la modernité. Marx écrit « L’anatomie de l’homme est une clef pour l’anatomie du singe. Les virtualités qui annoncent dans les espèces animales inférieures une forme supérieure ne peuvent au contraire être comprises que lorsque la forme supérieure est elle-même connue. Ainsi l’économie bourgeoise fournit la clef de l’économie antique » (Introduction à la critique de l’économie politique, 1857). Dans le même temps, l’hypergauche actuelle a permis de comprendre ce qu’était la logique de la gauche : faire la table rase de tout être. Nier toutes différences, faire des nouveaux codes (théorie du genre, nouvel antiracisme négateur des races et des cultures) le contraire de l’histoire, en allant plus loin que Rabaut Saint-Etienne avec sa fameuse formule (« L’histoire n’est pas notre code »). Il s’agit en fait de liquider pour l’Europe la possibilité de faire une quelconque histoire.

    La vraie question est donc de comprendre qu’on ne peut dépasser le capitalisme par la gauche (surtout celle de Pierre Bergé). La vraie question est aussi de prendre conscience à la fois que les thèses du GIEC sont biaisées par l’idéologie officielle du réchauffement dû à l’homme, mais que l’homme abîme vraiment la terre, que la pollution est une réalité, la croissance une impasse pour notre environnement, qu’elle détruit et enlaidit. La question est de prendre conscience que, comme dit le pape François, « l’heure est venue d’accepter une décroissance dans quelques parties du monde et d’en finir avec le mythe moderne du progrès matériel sans limite » (encyclique Laudato si’). L’heure est venue de la postcroissance pour une vraie postmodernité qui soit autre chose que l’intensification de la modernité.

    La polémique autour des propos de Michel Onfray sur Alain de Benoist a révélé qu’il existe encore une « gauche du non » (Jacques Sapir, Christophe Guilluy, Jean-Claude Michéa…). Qu’en pensez-vous ?

    Le phénomène va au-delà d’une « gauche du non » (au référendum sur le traité de 2005). Jean-Claude Michéa est un historien des idées, novateur et important. Jacques Sapir est un géopolitologue, un économiste et d’une manière générale un intellectuel atypique comme il y en a peu. Christophe Guilluy est un sociologue qui apporte un éclairage neuf mais n’est pas un intellectuel généraliste. Michel Onfray est un littéraire et un philosophe touche à tout doué et attachant – quoique, cela n’aura échappé à personne, un peu dispersé. Ce qui est important s’agissant de cette « gauche du non » qui est, plus largement, une gauche rebelle aux séductions de l’hypermodernité capitaliste, c’est de comprendre qu’un certain nombre de dissidents du système (certains l’étaient depuis longtemps et d’autres le sont devenus) commencent à se parler. Leurs réponses ne sont sans doute pas les mêmes mais du moins certains comprennent-ils qu’il n’y a pas de questions tabous.

    Il y a un autre élément de reclassement entre les intellectuels : la question de la pauvreté spirituelle de notre temps émerge tout comme la question de la nécessaire préservation des cultures qui consiste à ne pas les noyer dans un grand mélange informe.

    Face à la postmodernité, pensez-vous qu’il faille adopter un positionnement conservateur ? Réactionnaire ?

    Réactionnaire n’est pas un gros mot. On a le droit, voire le devoir de réagir face à certains processus. Mais réagir ne suffit jamais. Conservateur ? Tout dépend de ce qu’il convient de conserver. Certainement pas le système capitaliste et productiviste. Certainement pas le nouvel ordre mondial dominé par les États-Unis. Certainement pas les orientations internationales de la France depuis trente ans et le retour dans l’Otan. Certainement pas l’Union européenne telle qu’elle est. Il faut conserver le meilleur de la France. Mais existe-t-il encore ? Bien plutôt, il faut le retrouver, le réinventer. En retrouver l’esprit plus que les formes, par nature périssables. Pour conserver le meilleur, il faut révolutionner l’existant. C’est la formule du conservatisme révolutionnaire. Elle me convient bien.

    Pierre Le Vigan, propos recueillis par Thomas Julien (Philitt, 7 décembre 2015)

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  • Au secours : les intellectuels reviennent... par la droite !

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog, Huyghe.fr, et consacré à l'assaut des intellectuels dits "réacs" contre la doxa politico-médiatique et son refus du réel...

     

    Intellos réacs.jpg

    Réac attaque

    Les intellectuels reviennent et par la droite. Ou plus exactement, pendant que la gendarmerie de la pensée (Libé, télé & co.) s'épuise à constater les dérapages et franchissements de ligne rouge, quiconque a le malheur de commettre un livre d'un peu de portée se voit aussitôt soupçonné de faire partie du complot réac. Comme si penser c'était désormais regretter. Dès 2002, la première alarme fut tirée par le livre de Lindenberg "Le rappel à l'ordre" : il s'inquiétait du succès d'une intelligentsia odieuse à ses yeux - Gauchet, Finkielkraut, Besançon, Houelbecq, Ferry, Muray, Lévy, Taguieff, Nora et d'autres. Il étaient coupables de nostalgie identitaire, de déclinisme. Ils présentaient les symptôme contagieux des phobies qui nous ont fait tant de mal - refus de l'évolution des mœurs, des droits de l'homme, du métissage, etc..

    Treize ans plus tard, il suffit d'ouvrir n'importe quel hebdomadaire pour voir combien font débat chaque nouveau livre ou nouvelle déclaration des inévitables Debray, Onfray, Houelbecq, Finkielkraut, Michéa, Zemmour, sans oublier Renaud Camus, Elisabeth Lévy, Richard Millet, Olivier Todd, Christophe Guilluy, etc. ( gens dont nous convenons volontiers qu'ils ne pensent pas la même chose). Ils risquent le tribunal, du type ONPC où l'on commence par vous dire que vous êtes partout, que vous dominez le débat et que vous ne cessez de vous exprimer avant de vous reprocher la moindre ligne et de vous intimer de vous repentir. Et si possible de vous taire. Ou alors pour votre salut et repentance, vous devriez faire quelque opuscule propre à édifier les masses, tenir des propos antiracistes et pro-européens, exalter la mondialisation et la modernité, chanter l'Autre et le changement. Nous expliquer en somme que le monde tel qu'il est est le moins mauvais possible, employer votre énergie à une cause enfin courageuse et anticonformiste comme lutter contre le réchauffement climatique, Poutine, le Front National, la France crispée et le populisme, devenir de vrais rebelles, quoi !
    Pour ne prendre qu'un exemple, au cours des deux dernières semaines Onfray, Debray, Finkielkraut ont chacun fait la couverture d'un des principaux hebdomadaires. Ce sont de longs dossiers qui aideront le lecteur cadre à décider s'il doit croquer dans la pomme : d'un côté ces gens là disent des choses que l'on comprend. Leurs fulminations contre la bien-pensance ont un côté Bad Boys bien séduisant. De l'autre, il ne faudrait quand même pas faire le jeu de l'innommable et la blonde est en embuscade... On a moins hésité avant de goûter son premier joint.
    À chaque époque l'évolution des idées dominantes, montée et le déclin des représentations hégémoniques - se développe dans un rapport complexe. Il se joue entre la situation des producteurs d'idées, leurs organisations collectives, la forme des moyens de transmission, les groupes d'influence ou les détenteurs d'autorité, la doxa populaire et -il faut quand même le rappeler- la situation objective. Nous n'avons pas la place d'en traiter ici, mais il nous semble qu'il y a au moins deux phénomènes majeurs sur lesquels nous reviendrons :
    L'alliance qui s'esquisse entre la haute intelligentsia (producteur de thèses et idées générales) et le peuple ou du moins les tendances de l'opinion populaire. Elle se constitue autour d'un accord pour nommer un réel que refusent les politiquement corrects (basse intelligentsia, commentateurs médiatiques, classes urbaines assez matériellement protégées pour être soucieuses des "valeurs"). En clair, le conflit oppose ceux qui osent et ceux qui refusent d'aborder les sujets tabous - identité, effondrement de l'éducation, danger islamiste, existence d'ennemis, souveraineté, nation, peuple, culture et mœurs, continuité historique - autrement que comme des fantasmes répugnants nés des "peurs". Ceux qui s'inquiètent d'une permanence du tragique contre les partisans de ce qu'il faut bien nommer l'orde établi. Selon eux, ses principes seraient excellents, le triomphe historique inéluctable et il conviendrait seulement de corriger les excès et dérives avec un peu plus du même : plus de libéralisme, de gestion, de tolérance et d'ouverture, de gouvernance, d'Europe, de technologie et de vivre ensemble. À certains égards, cette bataille se fait à flancs renversés. Les positions entre pessimistes critiques s'attaquant aux élites et aux dominations idéologiques d'une part et, d'autre part universalistes moraux et bons gestionnaires ont été comme échangées entre "réacs" et "progressistes".
    Le retrait des seconds sur des positions purement défensives voire répressives (on n'a pas le droit de dire que..., on sait où cela nous mène). Une hégémonie idéologique peut-elle survivre en n'expliquant rien, en ne promettant rien, mais en se contentant de dire que ses ennemis sont méchants ? La criminalisation de la critique et le recours au tabou nous semblent plutôt être les armes du suicide idéologique. C'est, en tout, cas une question sur laquelle nous reviendrons ici.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 8 octobre 2015)

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